Aurore Bergé (g.) avec la députée Élise Fajgeles (dr.), au cours d’un « voyage d’études » en Israël en juillet 2018 – auroreberge.fr
On peut apprendre d’Israël sur ces technologies de sécurité et de prévention des attentats ». Autant de déclarations dont le lobby fait son miel. Hervé Morin, le président de la région Normandie expliquait déjà il y a quatre ans qu’il fallait « “israéliser” notre sécurité ». C’est en bonne voie, par exemple à Nice, où des « formateurs » israéliens ont conseillé la police municipale de Christian Estrosi.
Enquête · Aurore Bergé, une des élues vedettes de la Macronie, affiche un soutien constant à la cause israélienne, et préside à l’Assemblée nationale le groupe d’amitié France-Israël. La députée des Yvelines est également une proche du courant ultra-laïc du Printemps républicain dont l’influence s’étend jusqu’au gouvernement. Et compte parmi ses partisans d’autres éminents pro-israéliens.
Ce courant, le Printemps républicain — qui n’a jamais parlé d’Israël ou de la Palestine et n’a pas l’intention de le faire « actuellement », selon la réponse écrite de son équipe à ma demande d’entretien — envisage de se transformer en parti pour les prochaines échéances électorales nationales en 2022. Ce qui satisfait le lobby pro-israélien. « On a beaucoup d’amis dans le Printemps républicain », se réjouit Arie Bensemhoun, directeur d’Elnet en France. « Ce n’est pas que le Printemps républicain soit représenté à l’Assemblée. Il ne l’est pas, commente un député. Mais il est dans toutes les têtes ». À commencer par celle d’Aurore Bergé qui adhère à une lecture de la laïcité que le sénateur socialiste Rachid Temal, pourtant lui aussi chaud partisan d’Israël et habitué des rencontres d’Elnet ne partage pas. « La laïcité du Printemps républicain n’est pas la laïcité à la française. Le dessein politique derrière, c’est de cibler l’islam », estimait-il dans Regards en octobre 2018. Or, l’essentiel du discours actuel des pro-israéliens consiste à faire passer le combat légitime des Palestiniens en lutte entre la démocratie et « la menace » islamiste. De plus, il y a quelque chose de quasi comique à voir des partisans français d’une laïcité « rigoureuse » se poster en première ligne de la défense d’un pays qui en 2018 a adopté une loi sur « l’État-nation » fondée sur l’identité religieuse…
Lancé après les attentats de 2015, le Printemps républicain défend une vision étroite et donc discutée de la laïcité à la française. Son manifeste veut que la laïcité « redevienne l’affaire de tous et de chacun, qu’elle reprenne toute sa place au cœur de notre contrat civique et social ». « Contre l’assignation identitaire, contre l’alibi des différences prétexte à la différence des droits, il y a la République », poursuit le texte. À sa devise en triptyque « liberté, égalité, fraternité », François Hollande et Manuel Valls avaient un temps songé à ajouter « laïcité », avant d’y renoncer. En reprenant ce flambeau, les animateurs de l’association ont fini par le mettre au centre du débat politique. Ils sont d’ailleurs d’anciens proches de Manuel Valls, comme l’universitaire Laurent Bouvet, le préfet Gilles Clavreul, ex-délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, ou l’ancien élu municipal d’Avignon Amine El-Khatmi, qui préside le mouvement depuis 2016. Ils se manifestent essentiellement sur Twitter, où Laurent Bouvet, Gilles Clavreul et Amine El-Khatmi disposent respectivement de 25 000, 23 000 et 36 000 abonnés. Rien de renversant, mais assez pour faire du bruit. Aurore Bergé fait d’ailleurs mieux, avec 62 000 abonnés.
S’il a été soutenu dès le départ par des personnalités phares de l’islamophobie militante comme Élisabeth Badinter, Brice Couturier, Philippe Val ou Marcel Gauchet, de nombreuses personnalités sont devenus des compagnons de route du mouvement en reprenant l’essentiel de son argumentaire, comme Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation, (qui a d’ailleurs fait entrer Laurent Bouvet à un « comité Théodule » sur la laïcité), Marlène Schiappa, la ministre de la citoyenneté, ou des personnalités historiques de la gauche socialiste comme Jean-Pierre Chevènement et Bernard Cazeneuze. Plusieurs de ses proches sont aussi des figures du soutien à Israël. « Caroline Fourest par exemple est très pro-israélienne. C’est une pièce essentielle du Printemps républicain, elle ne s’exprime que rarement sur le sujet, mais dézingue à tout va ceux qui en parlent », dit un observateur éminent de la scène publique qui se dit frappé par le fait que « les amis d’Israël utilisent la laïcité pour mettre les musulmans sur la défensive ».
Le même interlocuteur doute d’ailleurs de son importance. « Le Printemps républicain c’est un tigre de papier. Il a l’importance que les médias veulent bien lui donner. Il n’a ni militants ni actions de terrain. C’est une coquille vide qui n’existe que médiatiquement », estime-t-il. D’autres parlent même de « flop » : « C’est du vent, y’a rien, y’a pas de militants, pas de débats, c’est une baudruche », explique un ancien socialiste, qui rappelle qu’Olivier Faure à la tête du Parti socialiste (PS) et quelques autres ont pris leurs distances. Même pour l’un des signataires de son manifeste, pro-israélien assumé, « c’est un épiphénomène, c’est encore un courant désincarné dans l’opinion. Et ce n’est pas vraiment la question de la religion qui est regardée en Israël ». Un ancien ministre a un avis plus tranché. « Sur Israël, le Printemps républicain, c’est le PS plus l’annexion ». Symbole de cette ligne : Manuel Valls qui a soutenu le plan Trump, « une occasion pour l’Europe et la diplomatie de changer de discours. Il faut avancer vers la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël », déclare-t-il en juin 2020 à I24News, la chaine pro-israélienne de Patrick Drahi.
Mais Valls a-t-il un avenir sur la scène politique française ? Beaucoup en doutent, y compris parmi ses amis. Certains plus moqueurs se souviennent qu’à l’occasion de la « journée de la terre » en 2008, il « plantait un olivier pour la Palestine à Évry », ville dont il est alors député-maire, et dénonçait un « mur honteux », « une fracture qui ne guérit pas », réclamant « la création d’un État viable et concret pour les Palestiniens ». Selon un communiqué de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS) de l’époque, il avait mis en cause « la politique américaine qui caricature les conflits au nom de la confrontation des civilisations ». Pas mieux. « On n’a jamais demandé à Manuel Valls pourquoi il avait changé d’avis », ironise un de ses anciens amis socialistes.
En revanche, Aurore Bergé n’a jamais été pro-palestinienne, et elle est moins « grillée » politiquement que l’ancien premier ministre. Elle s’en est même pris, en septembre 2020, via une question au gouvernement, au financement de la Plateforme des ONG pour la Palestine, dont font partie l’AFPS, la Ligue des droits de l’homme, le Comité catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD-Terre solidaire), et le Secours catholique, trente-neuf associations au total. Bergé accusait la Plateforme d’avoir fait campagne pour dissuader un certain nombre de parlementaires de voter la « résolution Maillard »1, et donc indirectement, de ne pas s’opposer à l’antisémitisme. Aurore Bergé gagnait avec cette question le titre d’étoile montante du lobby.
À 34 ans, élue d’une banlieue chic des Yvelines, elle a soutenu François Fillon, puis Nicolas Sarkozy, puis Alain Juppé, puis Emmanuel Macron, et ne s’arrêtera pas là. Après avoir approuvé la proposition de loi du député Les Républicains (LR) très à droite Éric Ciotti visant à interdire le port du voile aux mères accompagnatrices dans le cadre des sorties scolaires, elle a déposé avec son collègue de la Creuse Jean-Baptiste Moreau un amendement à l’actuel projet de loi sur le séparatisme pour « interdire le port de tout signe religieux ostensible par les mineurs dans l’espace public ». Cet amendement, jugé hors sujet par le président de la République a été retoqué par la commission spéciale du Parlement, mais Aurore Bergé s’est dit « fière de l’avoir porté ». Tout comme elle est fière de défendre sans relâche Israël : « C’est un pays que j’aime, c’est un pays ami, allié de la France, c’est un pays que j’ai envie que la France découvre ou redécouvre, parce qu’on entend beaucoup de choses sur Israël, mais quand on y vient, quand on voit ce qu’il se passe, on a une autre perception », dit-elle ainsi à Jérusalem en juillet 2018.
Aurore Bergé prend en mai 2019 la présidence du groupe d’amitié France-Israël, succédant à Élise Fajgeles, suppléante de Benjamin Griveaux et qui doit rendre son tablier quand ce dernier fait son retour à l’Assemblée. Elise Fajgeles était elle aussi proche du Printemps républicain, elle est depuis chargée de mission à la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), dirigée jusqu’à début janvier 2021 par le préfet Frédéric Potier, lui aussi défenseur d’une laïcité intransigeante et qui a milité en faveur de la résolution Maillard.
« Il y a une stratégie du lobby de cibler des personnalités un peu prometteuses : Aurore Bergé est une belle prise, elle croit à son avenir politique, elle est proche du Printemps républicain, dont elle retweette régulièrement les principaux porte-parole, elle vient de la droite comme Darmanin mais est bien introduite dans les arcanes de la Macronie, explique un de ses collègues parlementaires. De plus elle est assez populaire à l’Assemblée : pour la présidence du groupe il y a quelque mois, elle a obtenu 81 voix contre 97 pour Castaner » sur 279 députés inscrits au groupe. « La stratégie d’influence va tenter d’abord de repérer des talents en devenir, les pro-israéliens ont eu la main plus heureuse avec la tonique Aurore Bergé qu’avec le terne Sylvain Maillard. Même clivante, elle fait le job, et plait au public », complète un confrère journaliste.
« Sur Israël, c’est que de la banalité ce qu’elle raconte. Mais elle n’est plus sur la ligne traditionnelle de la France. Elle est un peu comme le nouvel ambassadeur de France à Tel-Aviv Éric Danon, “ailleurs” », note une de ses collègues parlementaires La République en marche (LREM), qui avait signé en juillet 2020 l’appel des 1080 parlementaires européens contre l’annexion, avec d’autres députés du parti majoritaire comme Anne Genetet, Joël Giraud, Caroline Janvier, Yannick Kerlogot, Jacques Maire, Jean-Baptiste Moreau (lui aussi proche du Printemps républicain) ou Gwendal Rouillard.
Aurore Bergé n’est pas seule à vouloir faire la synthèse entre le Printemps républicain et la défense d’Israël dans le camp de la droite. De grands élus comme Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, ou Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France ont tous deux fait récemment allégeance au Printemps républicain, et l’éloge du « modèle israélien » en matière de sécurité. L’une comme l’autre envisage de se présenter à la présidentielle en 2022, et font d’ores et déjà campagne pour leur réélection en juin prochain. L’enjeu n’est donc pas mince. « Israël qui, depuis longtemps, combat le terrorisme c’est une démocratie ou une dictature ? », a questionné Xavier Bertrand sur CNews le 1er novembre 2020, tandis que Pécresse enchainait dans Le Figaro du 2 novembre : les Israéliens « ont développé, grâce à l’intelligence artificielle, des logiciels de repérage des comportements suspects. Sur ce point-là, ils sont très en avance. On peut apprendre d’Israël sur ces technologies de sécurité et de prévention des attentats ». Autant de déclarations dont le lobby fait son miel. Hervé Morin, le président de la région Normandie expliquait déjà il y a quatre ans qu’il fallait « “israéliser” notre sécurité ». C’est en bonne voie, par exemple à Nice, où des « formateurs » israéliens ont conseillé la police municipale de Christian Estrosi.
Et côté « gauche », une autre candidate potentielle à la présidence, Anne Hildago, elle aussi très pro-israélienne sans s’être jamais déclarée proche du Printemps républicain « a un côté républicain sincère, elle est très anti-communautariste sauf avec les juifs. Mais elle ne peut pas avoir un positionnement tranché pour une raison simple : elle gouverne avec une alliance de forces politiques différentes » dont le Parti communiste (PCF) et les Verts, explique l’un de ses adjoints. Cependant sa précédente majorité comptait deux élues cofondatrices du Printemps républicain, la maire du 20e arrondissement de Paris, Frédérique Calandra, et Catherine Vieu-Charrier, rare personnalité du PCF à se rallier à ce mouvement. Adjointe au maire chargée de la mémoire, l’élue a été à l’origine de la création d’une place de Jérusalem dans le 17e arrondissement. Elle a été inaugurée en juin 2019 en présence du maire de Jérusalem, Moshe Leon, un proche de Nétanyahou, ce qui causa un certain embarras chez ses camarades communistes, mais n’a pas dérangé Hidalgo. Mais si « beaucoup d’élus socialistes pouvaient se dire un moment plus ou moins proches du Printemps républicain sur la laïcité, ils ont très vite mal supporté l’obsession islamophobe et l’hystérisation du débat. Pour quelqu’un comme Emmanuel Grégoire, l’actuel premier adjoint de la maire, tout ça c’est too much », dit une adjointe Europe Écologie Les Verts (EELV). « Avec Frédérique Calandra, qui était à fond dans le Printemps républicain, ils ont fait des dégâts, ils ont radicalisé pas mal de gens, ajoute la communiste Raphaëlle Primet, conseillère de Paris et elle aussi élue du 20e arrondissement. Maintenant, je le les trouve moins virulents, moins présents ».
Le Printemps républicain se voyant un grand rôle à l’avenir, comment les choses infuseront-elles ? Déjà, aux prochaines élections régionales en Île-de-France, prévues en juin 2021, deux candidates proches des idées du Printemps républicain devraient s’affronter : la présidente sortante Valérie Pécresse et Audrey Pulvar, nouvelle adjointe d’Anne Hidalgo qui a mis l’accent sur la « laïcité » en présentant sa candidature le 26 janvier 2021. On souhaite bien du plaisir à Clémentine Autain, qui représentera la France insoumise (FI) et le PCF aux régionales.
Aurore Bergé se réserve pour la suite. Si un véritable tournant de la France se produit dans les prochains mois sur la question Israël-Palestine, c’est-à-dire un renoncement de plus, nul doute qu’elle saura le défendre, en loyal porte-étendard du lobby.