« The Present » met à nu la dure réalité palestinienne
Maryam Kanj, la jeune actrice qui tient l’un des deux rôles principaux dans le court métrage de Nabulsi nommé aux Oscars, The Present.
William Parry
The Electronic Intifada
12 avril 2021
La réalisatrice palestino-britannique Farah Nabulsi vient de passer deux semaines assez extraordinaires.
Le mois dernier, son court métrage, The Present – ses débuts en tant que réalisatrice – a d’abord été sélectionné pour un prix de l’Académie Britannique des Arts du Film et de la Télévision (BAFTA), avant, quelques jours plus tard, d’être nommé pour un Academy Award, dont les Oscars seront remis plus tard en avril.
Puis vint la nouvelle que Netflix allait diffuser le film.
Finalement, le 10 avril, ce court métrage de 24 minutes a gagné le BAFTA à ajouter aux nombreux prix et distinctions depuis sa sortie l’année dernière.
Qu’est-ce que tout cela signifie pour Nabulsi ?
« Pour moi, la priorité était que le film soit vu. C’est là que je trouve vraiment mon plaisir. Alors, tout cela signifie encore plus de visibilité, qui était déjà grande – et pour un court métrage, de bien des manières sans précédent pour notre histoire. Sur ce plan, je suis extrêmement, extrêmement satisfaite », a-t-elle dit à The Electronic Intifada dans un appel vidéo.
Nabulsi rejoint une liste de réalisateurs dont l’œuvre est inéluctablement liée à l’identité palestinienne. Cette histoire simple de Nabulsi montre avec une précision déchirante le contrôle physique brutal et humiliant exercé quotidiennement par Israël sur des millions de Palestiniens, et la charge physique, émotionnelle et mentale qui résulte de son implacabilité.
Curieusement cependant, alors que ses films sont ancrés dans la réalité palestinienne, Nabulsi dit que ses influences culturelles ont peu à voir avec la culture palestinienne et arabe.
Ayant grandi à Londres et fréquenté une « école très britannique », Nabulsi dit qu’elle n’a pas eu beaucoup de contacts avec l’art et la musique arabes. Tandis qu’elle adore les écrits d’Edward SaÏd et la poésie de Mahmoud Darwish, elle dit qu’elle a lu leur œuvre « à travers les lentilles de quelqu’un qui ne lit pas bien l’Arabe, et qu’elle est donc passée par la traduction ».
Avant de se tourner vers la réalisation de film, elle a eu plaisir à regarder les films d’Annemarie Jacir et de Hany Abu-Assad, mais elle admet en riant que William Shakespeare et d’autres artistes occidentaux ont été importants et, de bien des manières, plus formateurs pour son approche culturelle.
« La façon dont je mène mon travail est légèrement différente », a dit Nabulsi. « Que j’aime ça ou pas, j’ai un pied en Occident, et je l’ai toujours. Aussi, quand j’écris et que je crée mes histoires et les réalise, je pense être un peu influencée par mon éducation ainsi que par ma vie occidentale, probablement plus que par mes influences palestiniennes si je veux être honnête. Je ne veux pas prétendre le contraire. »
Les temps, est-ce qu’ils changent ?
Avec un court métrage, montrant les dures et brutales réalités de l’apartheid israélien sur la vie quotidienne des Palestiniens, qui attire l’attention internationale – et avec une nouvelle administration américaine sous Joe Biden et la promesse d’élections palestiniennes longtemps attendues prévues pour l’été – Nabulsi ressent-elle des raisons d’être optimiste ?
« Je ne vois pas tant de différence entre Biden et Trump », dit Nabulsi. « Ce sont les têtes du même serpent, sauf que l’un porte un masque et l’autre pas. »
Farah Nabulsi
Elle croit cependant que les quatre années de la présidence de Donald Trump ont révélé des alignements politiques clairs que les hésitants ne peuvent plus nier, y compris certains sionistes libéraux.
« C’est devenu très clair, quand vous pensez à Trump, [Benjamin] Netanyahou en Israël, [Viktor] Orban en Hongrie, [Jair] Bolsonaro au Brésil, [Nerandra] Modi en Inde, vous criez soudain : ‘Oh les fascistes !’ et vous pouvez très clairement voir qui sont ces copains et ce qu’ils font. »
Résultat, explique Nabulsi, « cette intersectionnalité entre des mouvements pour les droits et les mouvements antiracistes est parvenue encore plus dans la lumière, et la fraternité et la sororité ont bien aidé. C’est pourquoi je suis très enthousiaste à propos de l’époque que nous vivons, mais pas à propos de Biden. »
Concernant les élections palestiniennes prévues pour cet été, Nabulsi admet qu’elle « aime beaucoup l’idée » de Marwan Barghouti se présentant à la présidence depuis la cellule de sa prison israélienne.
« Oui, vas-y ! » a-t-elle dit. « On y ressent une légère impression de Mandela, mais je n’ai aucune illusion sur le fait que cela pourrait ne pas complètement aboutir ou simplement avorter. »
Elle dit que, si la direction actuelle a sincèrement à cœur les intérêts des Palestiniens, « il faut qu’elle entre dans le 21ème siècle et se mette à jour ». Elle ajoute qu’elle n’arrive pas à comprendre pourquoi l’autorité n’a pas remis la balle dans le camp d’Israël depuis longtemps.
« Pourquoi ne s’est-elle pas exprimée collectivement pour dire : « Vous savez quoi ? Voilà : Un seul Etat. Prenez soin de nous, retirez l’occupation, retirez là entièrement. Oslo ? Vous l’avez tué, il est mort et en voilà toutes les raisons : les colonies, ceci cela et le reste : fini. Donc, tout ça est vide. »
L’Autorité Palestinienne elle aussi est vide. Les dirigeants palestiniens doivent maintenant exiger des Israéliens de « vivre avec vous. Faites cela le cœur grand ouvert et dites sincèrement : ‘C’est ce que nous voulons !’ et mettez Israël devant un choix ».
« Ainsi, soit ils doivent décider, ‘Oh non ! Non, non, non ! Voilà votre Etat !’, soit ils doivent faire face à un apartheid sans équivoque. »
Deux Etats, a-t-elle dit, « c’était une belle idée quand c’était viable, mais maintenant, ça ne l’est clairement plus. Mais la tache de naissance idéologique d’Israël, c’est le colonialisme de peuplement, aussi, à moins d’abandonner cela, alors ils ne veulent pas deux Etats. Cela n’a jamais été leur intention ».
Premiers bourgeons
Malgré les paysages politiques qui déterminent les réalités actuelles, Nabulsi voit de véritables signes de progrès qui prennent de l’ampleur – et qui, de la base au sommet, finiront par influencer ces mêmes paysages politiques.
Elle cite quelques exemples récents, dont le rapport « C’est l’apartheid » de l’association israélienne des droits de l’homme, B’Tselem, la récente décision de la Cour Pénale Internationale d’enquêter sur les crimes de guerre israéliens et la transition au cours des dernières années d’anciens sionistes libéraux comme le journaliste américain Peter Beinart.
« Je fais partie de ces gens qui croient qu’il s’agit vraiment de toutes les différentes gouttes de l’océan qui se rassemblent. Ce n’est pas un seul mouvement ou un seul individu ou un seul rapport – oui, il y a des éléments déterminants et il y a des individus essentiels, mais en fin de compte, c’est une fusion de toutes ces choses. »
Sans cet optimisme, dit-elle, réaliser des films n’aurait pas de sens.
William Parry est un journaliste et photographe indépendant qui vit au Royaume Uni. Il est l’auteur de Against the Wall : the art of resistance in Palestine et le coréalisateur du court documentaire, Breaking the generations : Palestinian prisoners and medical rights.
Traduction : J. Ch. pour Campagne BDS France Montpellier
Source : The Electronic Intifada