Pourquoi le soutien international à la CPI s’arrête-t-il lorsqu’il s’agit de la Palestine ?
Un jeune garçon palestinien marche au milieu des décombres d’une maison dont les témoins ont dit qu’elle avait été frappée lors d’une attaque aérienne israélienne, à Rafah, au sud de la Bande de Gaza, le 2 août 2014. (Abed Rahim Khatib/Flash90)
Par Matt Cannock et Solomon Sacco
le 16 avril 2021
En s’opposant à une enquête dans les territoires occupés, des États puissants contredisent leurs propres positions sur la CPI juste pour protéger un allié politique.
La décision le mois dernier de la Procureure Générale de la Cour Pénale Internationale (CPI), Fatou Bensouda, d’ouvrir une enquête approfondie sur des crimes supposés commis dans les territoires palestiniens occupés est très bienvenue pour ceux qui promeuvent les droits de l’homme et la justice. Malheureusement pourtant, il semble que tous les pays ne soient pas d’accord.
Dans une lettre du 9 avril aux Amis Conservateurs d’Israël, le Premier ministre britannique Boris Johnson a écrit que le Royaume Uni « s’oppose à l’enquête de la CPI pour crimes de guerre en Palestine ». L’enquête, a ajouté Johnson, « donne l’impression d’être une attaque partiale et préjudiciable contre un ami et allié du Royaume Uni ».
En prenant cette position, le Royaume Uni a rejoint un certain nombre d’États qui semblent vouloir, sinon ardemment souhaiter, renforcer un système sélectif de justice internationale qui donnerait la priorité aux intérêts d’États puissants sur les intérêts des victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Malgré la décision de la Chambre Préliminaire de la CPI qui a confirmé sa compétence sur la Palestine, de nombreux États parties, qui avaient soumis à la Cour des arguments s’opposant à cette compétence, ont fait depuis des déclarations publiques préoccupantes qui condamnent la démarche de la procureure. Par leur opposition, ces États risquent de saper l’ordre juridique international – juste pour protéger un allié politique.
Le Premier ministre d’Israël Benjamin Netanuyahou rencontre Boris Johnson, alors ministre des Affaires étrangères de Grande Bretagne, le 6 février 2017 à Londres, GB, lors d’une visite d’État officielle. (Kobi Gideon/GPO)
Quelques semaines avant la lettre de Johnson, l’Australie a publié une déclaration similaire disant que la CPI « ne devrait pas exercer sa compétence en relation avec [la situation dans l’État de Palestine] ». Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a fait écho à cette position, déclarant que « le point de vue juridique » de l’Allemagne sur cette affaire « demeure inchangé : la cour n’a pas la compétence à cause de l’absence du volet État palestinien requis par le droit international ».
Le Canada a lui aussi publié une déclaration disant qu’ « il ne reconnaît pas d’État palestinien et que, par conséquent, il ne reconnaît pas son accession aux traités internationaux, dont le Statut de Rome ». Le ministre des Affaires étrangères de Hongrie a également rapporté avoir publiquement « manifesté son désaccord » avec la décision de la CPI.
Deux poids, deux mesures
Qu’ils soient d’accord ou non avec la décision de la CPI sur sa compétence, ces États – dont tous sont parties au Statut de Rome – sont tous obligés de se soumettre à leurs obligations conventionnelles. On peut très bien y trouver des demandes ultérieures de coopération à l’enquête de la cour, ou la réalisation de mandats d’arrêt contre des individus accusés de crimes commis dans les territoires occupés.
Paradoxalement, ces mêmes États ont offert un soutien résolu à la cour quand d’autres États contestaient ses décisions judiciaires. Ce fut le cas, par exemple, quand certains États parties ont déclaré qu’Omar al-Bashir, l’ancien président du Soudan (qui n’est pas partie au Statut de Rome), bénéficiait de l’immunité, empêchant son arrestation sur leur territoire pour des accusations en lien avec des crimes supposés commis au Darfour. Ceci a fait que al-Bashir a échappé à une arrestation pendant des années, malgré deux mandats d’arrêt émis contre lui par la CPI.
L’ancien président du Soudan Omar al-Bashir arrive à Juba, aujourd’hui Sud Soudan, le 4 janvier 2011. (Al Jazeera en Anglais/CC BY-SA 2 0)
En 2013 par exemple, après que quelques membres du Statut de Rome aient failli à arrêter le Président al-Bashir en visite dans leur pays, l’Allemagne a déclaré que « notre Cour ne peut remplir son mandat qu’en tenant compte de la construction de la paix et de la réconciliation entre communautés affectées par un conflit si tous les États parties se soumettent à leurs obligations juridiques ». Le Canada a exprimé un argument similaire, « encourageant tous les États à se conformer à leurs engagements internationaux ». L’Australie a elle aussi appelé les États parties « à coopérer avec le Tribunal conformément à l’esprit et à la lettre du Statut de Rome.
Même les mots du gouvernement britannique en 2014 fournissent un exemple parfait de ce soutien : « Pour réussir à mettre fin à l’impunité, il est absolument vital que nous coopérions tous avec la Cour Pénale Internationale – dans le respect des principes du Statut de Rome, qui s’applique à toute personne sans aucune distinction… y compris quand votre propre État est affecté. »
On ne peut qu’espérer que ces mêmes États parties – qui dans le passé ont si véhémentement, et à juste titre, exhorté les membres à coopérer avec la Cour – appliquent les mêmes normes au cas de la CPI en Palestine. C’est le rôle des États parties de défendre la capacité de la CPI à exercer son mandat indépendant, et de ne pas ajouter leur propre pression pour interférer dans la prise de décision juridique de la Cour.
A ce sujet, nous devrions regarder vers l’Allemagne qui a déclaré en décembre 2020 à la réunion de l’Assemblée des Etats Parties qu’elle « fait objection à toute mesure qui interfère injustement dans l’exercice des fonctions judiciaires de la Cour… et qu’elle protégera sans relâche la Cour et son personnel contre toute pression ou menaces extérieures ». Bien que ce n’ait peut-être pas été son intention, la propre déclaration de l’Allemagne sur la Palestine juste quelques mois plus tard – surtout après que la cour ait rendu sa décision – pourrait être vue comme un moyen d’ « interférer injustement » dans les fonctions de la Cour.
Des manifestants palestiniens se heurtent à des forces de sécurité israéliennes au cours de la Grande Marche du Retour, près de la barrière entre Israël et Gaza, à l’est de Rafah, au sud de la Bande de Gaza,le 5 avril 2019. (Abed Rahim Khatib/Flash90)
Il est par conséquent inquiétant de voir de prétendus supporters de la CPI et de la justice internationale faire de l’ombre au processus judiciaire et abandonner les victimes avec un mépris aussi cavalier. Il est particulièrement insigne d’engager une dispute – comme l’ont fait beaucoup de ces États – comme quoi les négociations politiques entre la Palestine et Israël devraient prendre le pas sur un processus criminel international, laissant entendre que ce processus entraverait « une paix générale, juste et durable au Moyen Orient ».
Ces sortes de disputes ont eu lieu dans tous les conflits où des crimes relevant du Statut de Rome sont commis et elles ne sont jamais valables. Au contraire, en recherchant la responsabilité, la CPI peut jouer un rôle essentiel en brisant le « cycle de l’impunité » qui contrarie si souvent une paix juste et durable.
La Cour attaquée
La CPI fait face et a fait face à beaucoup d’autres attaques. Certains États parties par exemple ont cherché à limiter l’efficacité du procureur en imposant des limites irréalistes au budget de la Cour. Bien plus inquiétantes ont été les attaques venues des États Unis, particulièrement sous la présidence de Donald Trump ; bien que le président Joe Biden ait finalement levé il y deux semaines les sanctions honteuses de son prédécesseur sur la procureure et son personnel, il reste toujours une incertitude la façon dont Washington se comportera dans ses relations avec la CPI.
Pourtant, si la CPI doit demeurer un mécanisme efficace, fondé sur des règles, pour mettre fin à l’impunité en cas de crimes selon le droit international, les États parties doivent respecter ses décisions judiciaires et l’autorité du procureur exercer son pouvoir discrétionnaire. Quand les États ont défié les décisions de la cour après avoir failli à arrêter le président al-Bashir, les questions juridiques concernant ses immunités ont finalement été réglées par la Chambre d’ Appel de la CPI.
Fatou Bensouda, Procureure générale de la CPI, le 17 juin 2012.
Les États parties qui contestent l’affaire sur la Palestine devraient également respecter maintenant les décisions de la cour ; ils peuvent présenter des contre-arguments juridiques là où ils sont en position de le faire, mais ils doivent se retenir de mener des attaques politiques contre la cour quand les décisions ne sont pas à leur goût.
Il est temps pour tous les États de défendre les droits de toutes les victimes de crimes relevant du Statut de Rome, y compris celles qui se trouvent dans les territoires occupés. Comme de nombreuses victimes dans les TPO l’ont dit à notre organisation, Amnesty International, « la CPI représente notre seul espoir de parvenir à une responsabilité et une justice si longtemps niées ». Et, comme Amnesty l’a souligné précédemment, « tous les États qui prétendent soutenir une justice universelle et non sélective ont un intérêt commun à aider la CPI à exercer sa compétence sur la situation en Palestine ».
Il est clair depuis un certain temps que, alors que la Procureure s’apprête à ouvrir des enquêtes sur des situations qui impliquent des États puissants, la CPI et son personnel seront de plus en plus attaqués et menacés. En fait, dans les jours qui ont suivi la décision de la Chambre Préliminaire en février, on a rapporté qu’Israël « demanderait à ses alliés de faire pression sur la procureure de la CPI » contre l’ouverture d’une enquête de la CPI. Avec un nouveau procureur, Karim Khan, prêt à entrer en fonction le 16 juin, nous n’avons aucun doute sur le fait qu’il résiste fermement à ce genre de pression et respecte l’indépendance réelle et perçue de sa charge.
Cependant, étant donné les déclarations politiques de puissants États membres, Khan sera soumis à un contrôle encore plus grand pour démontrer sa capacité à exercer son mandat sans crainte ni complaisance. Les Etats parties au Statut de Rome devraient rester inébranlables dans leur soutien à la CPI, à l’indépendance du procureur et, avant tout, aux victimes qui exigent d’être entendues par la cour.
Traduction : J. Ch. pour Campagne BDS France Montpellier
Source : +972 Magazine