Nous refusons que les voix juives pour la paix soient silenciées
Du 25 au 31 mars se déroulera à Montpellier la déclinaison locale de l’Israël Apartheid Week (IAW). Chaque année depuis 2005, cette semaine de lutte contre l’apartheid israélien est un moment privilégié de mobilisation populaire au niveau mondial en faveur de la lutte des Palestinien·nes pour la justice. L’IAW permet de sensibiliser à l’apartheid israélien, de développer le soutien à la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) afin de mettre fin à ce système d’oppression et de créer des réseaux et renforcer les liens entre la lutte de libération palestinienne et d’autres luttes contre le racisme, l’oppression et la discrimination. A Montpellier, l’IAW 2024 organisée par BDS Montpellier est soutenue par un large éventail d’associations et d’organisations syndicales. Les universités ont joué un rôle décisif dans l’émergence du mouvement BDS et l’exigence du boycott universitaire, c’est-à-dire le refus des coopérations et accords bilatéraux avec les universités israéliennes complices du régime d’apartheid. Cela demeure une dimension centrale de la solidarité qu’il est possible d’apporter aux Palestinien·nes.
Le premier événement prévu au programme est une conférence de Pierre Stambul, porte-parole de l’Union Juive Française Pour la Paix (UJFP), programmée pour le lundi 25 mars à 12h à l’Université de Montpellier. Pierre Stambul est l’auteur des ouvrages Israël-Palestine : du refus d’être complice à l’engagement (2012), Le sionisme en questions (2014), Contre l’antisémitisme et pour les droits du peuple palestinien (2021) et a participé à l’ouvrage collectif Une parole juive contre le racisme (2016).
Le syndicat SUD éducation a sollicité la mise à disposition d’une salle pour la bonne organisation de cette conférence. Mardi 12 mars, la présidence de l’UM a adressé à SUD éducation une réponse refusant de mettre à disposition un amphi en arguant “qu’un tel événement est susceptible de porter une atteinte excessive au principe d’indépendance du service public de l’enseignement supérieur […] en raison des propos qui pourraient y être tenus et provoquer des troubles à l’ordre public”. Quels seraient ces propos “qui pourraient être tenus” que la présidence semble craindre et quel “ordre public” serait troublé et comment ? Aucun argumentaire explicatif, bien sûr, derrière ces accusations qui laissent planer les soupçons les plus divers, mais une interdiction “préventive” typique des dérives autoritaires constatées ces dernières années. Pourquoi interdire une voix pacifiste ? Si le prétexte fallacieux en est que des voix belliqueuses extérieures pourraient profiter de l’occasion pour se faire entendre, nous dénonçons le fait que soient renvoyés dos-à-dos un partisan de la paix et les thuriféraires de la guerre.
L’argumentaire juridique du courrier est tout aussi stupéfiant. On peut en effet y lire des références bienvenues au Code de l’éducation et à la jurisprudence du Conseil d’Etat qu’il est bon de restituer :
- “le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique” (article L141-6 du Code de l’éducation)
- “tout établissement d’enseignement supérieur doit veiller […] à l’indépendance intellectuelle et scientifique de l’établissement, dans une perspective d’expression du pluralisme des opinions” (CE, décision n°347171 du 7 mars 2011)
La présidence de l’UM, dans sa hâte, a-t-elle manqué de prendre connaissance des passages relatifs au respect de la diversité des opinions et à l’expression du pluralisme des opinions ? Il est en tout cas renversant de mobiliser ces textes pour interdire précisément l’expression des opinions dans leur diversité et leur pluralisme.
La décision de la présidence de l’UM constitue une attaque contre les libertés publiques dans l’enseignement supérieur. Loin de préserver l’indépendance du service public et des établissements d’enseignement supérieur de l’emprise politique et idéologique, elle se fait au contraire le prolongement des discours d’une extrême-droite et d’une droite extrême qui, de la fachosphère aux bancs de l’Assemblée nationale, s’emploient à diaboliser toute manifestation de solidarité avec le peuple palestinien sous les bombes depuis bientôt 6 mois, et dans un renversement inique présente comme un danger le large mouvement populaire de solidarité avec le peuple palestinien et contre le génocide en cours dans la Bande de Gaza. Loin de constituer une affirmation de l’indépendance toujours menacée des établissements d’enseignement supérieur, cette décision s’inscrit dans la droite ligne de l’action d’un gouvernement qui, face au massacre des Palestinien·nes, continue d’armer Israël et de lui apporter un soutien diplomatique en contestant la qualification de génocide pour laquelle l’Afrique du Sud a courageusement intenté une action contre Israël à la Cour internationale de justice.
L’Université de Montpellier n’est malheureusement pas la première université à s’engager dans la répression des voix solidaires avec le peuple palestinien et à vouloir faire régner un silence de mort, littéralement, au moment où un génocide est perpétré sous nos yeux par Israël à Gaza. Ce n’est pas non plus la première fois que des interventions publiques de Pierre Stambul sont interdites par des autorités de divers acabits. Il est toutefois saisissant de constater qu’en ce moment périlleux, les voix juives pour la paix sont silenciées. À titre d’exemples de la vague de censure qui s’abat sur celles-ci : la philosophe Judith Butler interdite de prise de parole puis cible d’attaques publiques, ou encore le réalisateur Jonathan Glazer dénoncé pour ses propos à la cérémonie de remise des Oscars. C’est désormais Pierre Stambul, fils de Juifs communistes résistants, qui est empêché d’intervenir, de manière préemptive au nom de propos qui pourraient être tenus à la conférence qu’il va donner.
Signataires de ce communiqué,
- nous dénonçons la décision de la présidence de l’UM de refuser la tenue de la conférence de Pierre Stambul prévue le lundi 25 mars à l’UM ;
- nous refusons que les voix juives pour la paix soient silenciées : la conférence de Pierre Stambul se tiendra le lundi 25 mars (lieu et heure à préciser) ;
- nous appelons à la défense des libertés publiques dans l’enceinte des universités et en dehors, ainsi que de l’indépendance du service public de l’enseignement supérieur à l’égard de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ;
- nous appelons à participer massivement aux événements prévus pendant l’IAW 2024 et à investir le mouvement pour un cessez-le-feu immédiat et permanent et pour la justice en Palestine.
Signataires : Association des Palestiniens du Languedoc-Roussillon, BDS France Montpellier, Comité universitaire de soutien à la Palestine de Montpellier, CGT des universités de Montpellier, Collectif des Musulmans de Montpellier, FSU UM, Gauche écosocialiste 34, Mouvement pour une alternative non-violente (MAN), NPA34, Solidaires Étudiant-e-s Montpellier, SUD éducation Hérault, SUD Recherche Montpellier, Union juive française pour la paix (UJFP), Urgence Palestine (UP)