Covid-19 dans Gaza confiné : le terrible cri d’alarme d’une montpelliéraine en lien avec des habitants
Au temps du Covid 19
Gaza se soucie de nous et nous,
nous soucions-nous de Gaza ?
Aujourd’hui il faut de toute urgence mettre fin au blocus de Gaza, permettre à sa population d’avoir une vie libre où les droits humains fondamentaux existent et sont préservés : la liberté de circulation des personnes et des biens, l’accès égal aux ressources naturelles comme un principe de vie universel et le droit à un système de santé correct et efficace dans toute sa panoplie de l’avant du maintenant et de l’après.
En avril 2014 je suis partie avec l’association espagnole Unadikum dans la bande de Gaza, j’y suis restée trois mois juste avant la dernière opération meurtrière engagée par Israël « Bordure protectrice » dans une vie dont le quotidien était partagé pour la majeure partie entre une action militante de protection des paysans à la frontière avec Israël, la participation à des évènements politiques collectifs puis la rencontre de personnes, qui ont constitué petit à petit un réseau d’ami·e·s avec qui j’ai partagé de nombreux moments, de multiples conversations, réflexions sur ce qu’est la vie et en particulier à Gaza. Ces rencontres m’ont appris que les gens de Gaza sont comme les gens du monde, ni plus ni moins, des gens qui nous ressemblent. J’ai mesuré à quel point nous représentions, nous activistes, l’extérieur, l’extraordinaire d’un monde qui ne l’est pas mais qui, quand on en est privé reste un rêve inaccessible.
Quand on quitte Gaza, Gaza ne nous quitte pas, cette persistance en soi de cet endroit du monde, des gens qui y vivent comme les dimensions d’un « acte politique » dans l’échange le partage le rêve l’énergie l’espoir qui cherche à la racine ce collectif qui pourrait se dire au nom de chacun. Le monde entier a des responsabilités en rendant les Palestiniens illégaux. (M. Darwich)
Depuis nous avons collectivement témoigné dans un livre « Gens de Gaza » nous avons monté des projets de société civile à société civile en lien avec nos différentes appartenances politiques – BDS/UJFP/AFPS – et avec notre association « Éducation et Partage Solidaire » dont certains membres ont pu encore aller à Gaza en 2016. Mais surtout chacun·e de nous est resté en contact avec nos ami·e·s de Gaza et dernièrement nous devions organiser et accueillir dans neuf villes de France (dont Montpellier) la tournée d’une délégation de la société civile Gazaouie après son passage au Parlement Européen le 24 mars. Le Covid 19 est arrivé, le 2 mars le Président de la Commission Européenne a annulé la tournée, nous l’espérons reportée car tous les visas ont été obtenus et sont valables un an… Inch Allah.
Aujourd’hui ce virus qui ignore les frontières traite tout le monde sur un pied d’égalité met au jour l’évidence d’une réalité : nous n’avons pas les mêmes ressources ni les mêmes protections.
Il y a quatre jours, au même moment où la vague, comme l’appellent les médecins, s’est mise à déferler en Europe et que nous avons pu constater la vulnérabilité de l’opulent mode de vie occidental, j’ai reçu des messages de mes amies de Gaza pour savoir comment nous allions… J’ai été très émue, secouée, comme si Gaza était chez nous d’un seul coup mais avec tant de différence. Pour eux un blocus inhumain validé par la communauté internationale depuis plus de 13 ans et pour nous des mesures, des interdictions, des recommandations, des attestations : ces mots d’un jeune étudiant de Gaza me sont revenus, Le pire c’est que tout le monde finit par s’adapter à cette situation de privation totale et par organiser sa vie autour…
Si l’on considère la règle du confinement comme nécessaire pour empêcher la propagation du virus, la solitude à Gaza ça n’existe pas ça n’est pas possible ni dans la rue ni sur la plage ni dans la campagne ni chez soi, c’est la plus forte densité de population au monde. Le mot de volcan employé par certains gazaouis est une image réussie ; à Gaza il n’y a pas de nature sauvage, jamais un endroit désert jamais un lieu sans personne jamais un jardin secret, tout est peuplé, habité, occupé, on ne peut pas être seul·e l’horizon est bouché, parfois ce sont les gens qui font paysage comme sur la plage seul lieu de détente possible. On y voit de tout des installations de cuisine, tentes, salons des voitures qui patinent dans le sable dans l’eau entre les grappes d’enfants mouillés et sableux, des ânes des chevaux des carrioles quelques bateaux à moteur des barques à fond plat des égouts des barbelés des vagues de la bouffe des vendeurs de tout, du feu dans des tonneaux des grilles et des postes de secours qui hurlent dans un mégaphone. La limite sec et mouillé n’existe pas on ne se déshabille pas pour aller dans l’eau, un chameau passe, du café des cerfs volants au loin les raffineries d’Israël d’un côté, de l’autre des minarets, le monde sur la plage n’a pas de fin il est sans limite. Les rues sont à l’image de la plage et dans les maisons tout le monde partage sa chambre, à Gaza tout le monde vit en famille, je me suis rendue compte un soir que rentrer seule chez soi à Gaza ça n’existe pas, alors quid du confinement ? Des attestations de sortie quand les déplacements se font avec des taxis collectifs remplis à ras bord, le transport à Gaza récupère toutes les personnes qu’il peut trouver sur son passage et ne se rend jamais directement d’un point à un autre quand il n’y a pas pénurie d’essence.
2020 est l’année dont les Nations-unies et d’autres agences internationales ont estimé que Gaza deviendrait « inhabitable » si le blocus israélien de 13 ans et l’isolement de la bande de Gaza continuaient. Nous sommes en 2020 avec à Gaza une grave crise de l’eau, une fourniture d’énergie extrêmement réduite, un taux incroyable de chômage et des infrastructures et des services de base en miettes. 2020 c’est aussi l’année du Covid 19 où les règles d’hygiène énoncées, à juste titre, en permanence sont par exemple se laver les mains. A Gaza l’eau est saumâtre, Israël pompe toute l’eau en amont et la mer fortement polluée rentre dans les nappes phréatiques presque à sec. Je me souviens du jour où un militant français récemment arrivé dans notre appartement collectif se faisait des pâtes avec l’eau du robinet, nous avions souri puis nous l’avions averti car cela aurait été immangeable et destructeur pour son système digestif. Aujourd’hui comment respecter ces règles d’hygiène quotidienne à Gaza alors qu’il faut acheter l’eau potable ; bien sûr il y a production et distribution de gel hydroalcoolique mais ce n’est pas une solution d’hygiène de base et on ne le boit pas !
Que dire du traitement des ordures où il manque les camions, les circuits de traitement, de ramassage, tout ce déficit lié au blocus ; les camions de ramassage remplacés par des carrioles et des ânes vers des décharges en plein air en centre ville ou dans la campagne. Certains jours les eaux sales, les égouts dévalaient les marches, les escaliers qui mènent à la mer et l’odeur nous rappelait l’origine de ces eaux toutes mélangées.
Le système de santé ? Le PCHR centre palestinien pour les droits humains avertit que le système de santé à Gaza s’effondrera en cas de déferlante du coronavirus c’est un avertissement, on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas. Quinze jours après mon départ de Gaza l’armée israélienne a donné un quart d’heure à tout le personnel et les malades d’un hôpital de personnes âgées pour évacuer avant de le bombarder c’était l’hôpital de Chiffa, un exemple parmi tant d’autres dans la détérioration et la pénurie du système sanitaire palestinien déjà incapable de répondre aux besoins médicaux de base de la population.
Samedi je me suis rendue à Montpellier pour « des achats de première nécessité » dans les quelques rues ou la place de la Comédie que j’ai traversée j’ai eu le sentiment d’un désert malsain, une impression de monde fini où les quelques personnes que j’ai croisées s’évitaient toutes rapidement le regard fuyant. L’inverse du sentiment d’unité, de solidarité ressentie en permanence à Gaza malgré les drones, les tirs, les difficultés multiples, comme une inversion des émotions. Peut être parce que ce qui fait l’unité et la solidarité de la population à Gaza c’est la résistance, une cause qui les fonde, un destin une histoire, une façon d’être au monde et de considérer l’autre comme son prochain. Deux situations de crise où la force de chacun·e ne fait pas société de la même façon, où l’imbrication du privé et du politique ne résonne pas avec la même force. D’ailleurs combien de fois ais-je entendu là-bas qu’il valait mieux être pauvre à Gaza que nulle part ailleurs dans le monde.
Dans une de mes dernières conversations avec deux jeunes amis dans un café de Gaza je me souviens qu’ils ont d’abord tenu à m’assurer qu’ils préféraient leur pays, que c’était le plus beau pays et que la vie en société y était agréable de par les bonnes relations familiales qui les liaient tous ensemble, mais que le blocus depuis 2007 avait introduit une destruction de l’avenir. Une jeunesse entre rêve, résistance et destruction.
Depuis quelques jours je dialogue avec mes amies de Gaza mais je n’arrive pas à les faire parler, écrir , raconter aujourd’hui là-bas, elles préfèrent parler d’autre chose, les seuls mots qu’elles me disent c’est « on pense à vous » et « chez nous ça devient de plus en plus compliqué, nous sommes paniqués par le coronavirus » (neuf cas détectés à l’heure d’écrire ces lignes)…
Si la crise liée à l’arrivée du covid-19 n’est pas le moment de mettre fin au blocus de Gaza et à l’occupation en Palestine, alors ce sera quand le moment ?
Voilà ce qu’Israël doit faire maintenant : lever le blocus de Gaza avant la dévastation sinon elle sera responsable et poursuivie par le droit pénal international.
Le BDS est un mouvement international non-violent non-sectaire et anti-raciste, il est efficace demandé par les Palestiniens, c’est une campagne dont l’impact est mondialement reconnu ; il est l’arme nécessaire d’un combat de justice et de respect du droit international.
29 mars 2020 – Le Poing