Il est temps que les syndicats soutiennent BDS
Les dernières semaines ont été témoins des plus grandes manifestations de solidarité avec la Palestine depuis au moins 2014. (Credit: Chris J Ratcliffe / Getty Images)
Par
Rafeef Ziadah
Ces dernières semaines ont été témoins des manifestations historiques de soutien à la Palestine, mais les manifestations seules ne seront pas suffisantes pour renverser la situation — les syndicats doivent être au premier rang d’une nouvelle vague de boycotts, de désinvestissements et de sanctions.
Les Palestiniens ont entrepris une grève générale historique le 18 mai, sur toile de fond d’une nouvelle attaque militaire israélienne sur la Bande de Gaza et du déplacement forcé continu à Jérusalem. La grève générale elle-même, largement observée par les Palestiniens, a donné un remarquable spectacle d’unité et de force contre les décennies de colonialisme et d’occupation militaire qui ont dominé chaque aspect de la vie palestinienne.
Dans l’esprit de la grève générale, les Palestiniens ont aussi appelé internationalement les syndicats à arrêter le soutien matériel aux crimes d’Israël. Le syndicat italien L’Unione Sindacale di Base (USB) de la ville toscane de Livourne a montré la voie en refusant de charger une cargaison d’armes dans un navire en direction d’Israël, expliquant : « Nous ne voulons pas être complices du massacre des civils palestiniens ». Une semaine plus tard, le syndicat des travailleurs sud-africains du transport et assimilés (SATAWU) a refusé de décharger le Zim Shangaï qui appartient à la compagnie israélienne Zim Lines. Des dockers d’Oakland, en Californie, projetaient aussi de refuser de décharger un autre navire israélien avant qu’il ne soit dévié.
Parallèlement, en Grande-Bretagne, un groupe de militants a occupé le toit de la filiale de la compagnie israélienne Elbit, UAV Tactical Systems, à Leicester, un établissement qui produit des éléments pour des drones militaires. Le syndicat des brigades du feu du Leicestershire, dont des membres avaient été appelés sur la scène, a refusé de les faire partir, affirmant que « le syndicat des brigades du feu soutient la solidarité avec la Palestine et le droit de manifester ». Tout cela s’est produit en même temps qu’une substantielle présence syndicale lors de manifestations et de mobilisations pour la Palestine dans le monde entier.
Ce sont des actions significatives de défi qui ont eu une forte résonance chez les Palestiniens. Cependant, ils ne doivent pas être sporadiques et limités seulement aux moments où la Palestine est dans les journaux. Des actes de solidarité et la reconnaissance qu’Israël devrait être isolé, de la même manière que l’état d’apartheid sud-africain, doivent devenir un principe établi de la politique syndicale progressiste.
Après cette grève générale réussie, les syndicats palestiniens ont publié un important appel international à l’action:
« Dans l’esprit de l’internationalisme et de la solidarité, nous appelons les syndicats à prendre des mesures immédiates et concrètes pour garantir qu’eux-mêmes ne soient pas complices dans le soutien à l’oppression israélienne et dans son maintien. »
L’appel est signé par d’importantes fédérations syndicales officielles et indépendantes, représentant la vaste majorité des travailleurs palestiniens. Il contient des requêtes spécifiques pour traduire les affirmations et les sentiments positifs en actions, dont le désinvestissement des fonds de pension des firmes complices de l’occupation israélienne, l’encouragement aux travailleurs pour refuser de manipuler les produits israéliens et le soutien aux membres qui refusent de construire des armes devant être utilisées par les forces israéliennes.
Exploitation des travailleurs palestiniens
La responsabilité qu’ont les syndiqués du monde entier de soutenir la Palestine est rendue plus claire par les conditions dégradantes auxquelles sont confrontés les travailleurs palestiniens, qui sont victimes de l’agression militaire israélienne et de son étranglement économique. On leur dénie le droit à se déplacer librement, le droit à des salaires décents et ils sont contraints à des conditions de travail misérables en conséquence de l’occupation continue d’Israël.
Le système discriminatoire de permis imposé aux travailleurs palestiniens rappelle les lois d’apartheid de l’Afrique du Sud, et l’économie palestinienne dans les Territoires occupés est complètement dépendante d’Israël à cause de son contrôle sur le mouvement tant des personnes que des biens en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. Les travailleurs palestiniens sont confrontés à une discrimination et à un harcèlement constants aux checkpoints israéliens simplement pour vouloir mettre de la nourriture sur leur table.
Parallèlement, l’érosion de la base productive de l’économie palestinienne a conduit à limiter les opportunités de travail. Dans les années récentes, le nombre des travailleurs employés dans le secteur informel a augmenté de manière importante — avec 48% des travailleurs salariés employés sans contrat formel.
Beaucoup de commentateurs ont remarqué à quel point les récentes manifestations en Palestine sont un mouvement mené par les jeunes — et ce n’est pas une coïncidence : la jeunesse palestinienne (19-29 ans) a été la plus impactée par des niveaux insupportables de chômage. Selon les derniers chiffres du Bureau palestinien de statistiques, le taux de chômage chez les jeunes atteint 39%, réparti entre 24% en Cisjordanie et 67% dans la Bande de Gaza.
Les chiffres les plus élevés concernent les diplômés de l’université, atteignant 36% en Cisjordanie et 79% dans la Bande de Gaza. Ce sont les résultats d’années d’intervention israélienne systématique pour dé-développer l’économie palestinienne : des politiques qui ont laissé les travailleurs palestiniens avec une infrastructure de soins inadéquate, une économie stagnante et des niveaux sans précédent de chômage.
En même temps, les citoyens palestiniens d’Israël sont aussi sujets à une vaste discrimination dans les subventions et l’accès aux services. Après avoir participé à la grève générale, beaucoup de travailleurs palestiniens ont été licenciés, certains par des messages sur WhatsApp, illustrant leur statut précaire. L’attaque sur les moyens d’existence des Palestiniens, où qu’ils résident, est continu. C’est précisément pourquoi la solidarité internationale et l’action syndicale sont tellement nécessaires.
Action syndicale
Il y a eu de nombreuses motions en soutien du peuple palestinien adoptées par les syndicats du monde entier. C’est grâce à de nombreux militants de base infatigables qui veillent à ce que la question soit systématiquement présentée et discutée lors des congrès.
En même temps, d’innombrables délégations syndicales se sont rendues en Palestine pour rassembler des preuves et produire des rapports. Il ne manque pas d’information sur la violence de l’occupation militaire et les mauvais traitements infligés aux travailleurs palestiniens. De fait, la plupart des syndicats soutiennent officiellement les droits palestiniens et rejoignent des manifestations quand il y a une aggression militaire israélienne.
Il y a cependant, chez beaucoup de leaders syndicaux, une réticence à aller au-delà des positions existantes. Nous devons faire face au fait qu’un certain confort accompagne la possibilité de montrer une motion sans avoir à agir pour l’appuyer. Mais la situation est grave et la violence ne s’arrête pas quand il y a un cessez-le-feu.
Il n’y a pas de calme dans les conditions du colonialisme et de l’occupation. La difficile vérité est que la solidarité syndicale est sapée quand, malgré un soutien formel aux Palestiniens, des membres du syndicat aident à construire et à transporter les armes utilisées par l’armée d’Israël chaque année pour tuer les Palestiniens.
Les syndicats palestiniens ont dit clairement dans leur déclaration ce week-end qu’il fallait faire plus,
« En tant que syndicats … nous avons le pouvoir d’arrêter de soutenir des régimes racistes. Le mouvement syndical mondial a toujours joué un rôle clé et inspirant dans son engagement courageux et son adoption de sanctions concrètes, innovantes et menées par les travailleurs contre des régimes d’oppression. Le boycott syndical d’Afrique du Sud se détache comme un brillant exemple de cette tradition de solidarité effective. »
Une réponse significative à l’appel syndical palestinien à agir pourrait faire une énorme différence. Une première étape importante serait de travailler à désinvestir les fonds de pension syndicaux des corporations complices de l’oppression israélienne. Alors que beaucoup de fonds de pension ont, de fait, des politiques d’investissement éthique, ils tendent à être très réservés quant à leur application. Comme le montrent les cas de désinvestissement de l’industrie des combustibles fossiles, il est possible pour les fonds de pension de prendre position en s’opposant à l’injustice.
Des militants de base doivent continuer à construire un élan favorable à la stratégie du boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) à l’intérieur du mouvement syndical. Cela signifie une formation syndicale régulière et l’utilisation des ressources syndicales pour former les militants, ainsi que lfait d’entrer en contact et d’établir des connexions directes avec les travailleurs palestiniens.
En bref, nous avons besoin d’une mobilisation interne qui pousse le mouvement syndical à stopper toutes les formes de complicité avec les crimes d’Israël. Le mouvement des travailleurs n’est pas la chasse gardée d’un pays quelconque, mais un mouvement international de travailleurs qui partage une lutte commune pour un monde meilleur.
Nous ne pouvons pas être cohérents dans le combat contre l’injustice — des politiques comme la privatisation, la délocalisation, la précarisation — pendant que les travailleurs ici contribuent à l’oppression des travailleurs là-bas.
Et ensuite ?
Soixante-treize ans ont passé depuis le nettoyage ethnique originel du peuple palestinien chassé de ses maisons et de ses terres pendant la Nakba. Des décennies plus tard, deux millions de personnes dans la Bande de Gaza sont encore emprisonnées par un siège militaire dans l’un des plus cruels exemples de punition collective du monde.
Au milieu d’une pandémie mondiale, la dévastation infligée à l’infrastructure médicale de Gaza et à son personnel par onze jours de bombardement est profondément ressentie. Alors que 90000 personnes fuyaient pour sauver leurs vies, se cachant dans des maisons et des écoles bondées, Israël détruisait le seul laboratoire testant le Covid dans le territoire occupé. C’est le contexte — et il ne disparaîtra pas avec un cessez-le-feu.
Pourtant, malgré les attaques militaires et les expulsions, de Sheikh Jarrah à Jérusalem aux communautés palestiniennes dans la vallée du Jourdain, les Palestiniens restent aussi déterminés que jamais. Les deux semaines passées ont eu leurs horreurs, mais elles ont aussi été marquées par des moments de rébellion et de joie collectives — et par le pouvoir de la communauté se rassemblant pour résister à l’injustice.
La grève générale dans toute la Palestine historique a manifesté sans équivoque que les tentatives pour diviser les Palestiniens ont échoué. Des actions de principe par des syndiqués du monde entier peuvent faire une puissante différence dans ce combat — c’est maintenant le moment de prendre position.
Sur l’auteur
Rafeef Ziadah est un militante palestinienne de défense des droits humains. Elle est lecturer en politique du Moyen-Orient à SOAS, Université de Londres, et membre de l’University and College Union (UCU).
Trad. CG pour Campagne BDS France Montpellier