La Journée de Jérusalem aurait dû être annulée et interdite depuis longtemps. Elle est devenue la journée israélienne du racisme et de la violence.
Gideon Levy, 21 mai 2023
La manifestation de la rue Kaplan aurait dû se dérouler jeudi à Jérusalem, dans la rue Hagai.
Il est difficile de comprendre qu’un mouvement pour sauver la démocratie n’ait pas été présent lors de la Journée de Jérusalem. Dans cette rue, dans le quartier musulman de la vieille ville, la démocratie a été physiquement piétinée jeudi d’une manière dont Benjamin Netanyahu et Yariv Levin n’ont peut-être pas encore rêvé.
Personne n’est venu. En n’étant pas là, le mouvement de protestation a trahi sa mission. Il avait le devoir de quitter ses zones de confort de la rue Kaplan de Tel Aviv et de l’autoroute Ayalon adjacente pour converger en masse vers la porte de Damas. Là, plus qu’ailleurs, il aurait pu protéger la démocratie de son corps.
Les images sont insoutenables. Il suffit de regarder la photo glaçante d’Olivier Fitoussi en première page du Haaretz vendredi: un pogrom néo-nazi. un Palestinien à terre, impuissant, tente de protéger sa tête des coups de pied et de poing des dizaines de pogromistes «célébrant le Jour de Jérusalem» qui l’entourent. Avec leurs gourdins et le meurtre dans les yeux, ce ne sont pas des adolescents à risque.
Ils sont la crème de la crème des colons, les meilleurs des yeshivas et des avant-postes des colonies, dans leurs chemises blanches en l’honneur de la «fête» et dans leurs grandes kippot en l’honneur de Dieu. Cette image emblématique aurait dû choquer tout être humain. Elle ressemble trop aux images de Juifs battus en Europe à la veille de l’Holocauste.
Nir Hasson a rapporté que leur victime était cette fois Firas al-Atrash, 37 ans, qui était allé bêtement s’acheter des vêtements dans sa ville, pendant la fête. L’année prochaine, il n’osera pas sortir le jour de Jérusalem – et bientôt, peut-être pas non plus les 364 autres jours de l’année.
La Journée de Jérusalem aurait dû être annulée et interdite depuis longtemps. Elle est devenue la journée israélienne du racisme et de la violence. Si c’est la fête de la ville, alors même les derniers de ses amoureux non messianiques doivent devenir ses ennemis face à la domination de ses conquérants. Faire de l’anniversaire du jour de la conquête, de l’occupation, un jour férié, c’est malsain; le faire sur le dos des victimes, c’est vraiment malsain.
Bonne journée de Jérusalem à tous.
Ce n’est pas un jour férié, mais un jour de désastre, un jour maudit. La ville n’a été ni «unifiée» ni «libérée»; elle a été conquise par la force et un grand nombre de ses habitants – environ 40% – sont devenus les sujets involontaires d’un régime d’occupation brutal et raciste. Qu’y a-t-il à célébrer ici?
C’est exactement là que la protestation aurait dû se manifester. Au lieu de dizaines de milliers dans la rue Kaplan, des dizaines de milliers dans le quartier musulman pour protéger ses habitants et la démocratie israélienne. Il est vrai que c’est moins agréable et moins sûr que le samedi soir sur le pont de l’autoroute, mais s’il s’agit vraiment d’une manifestation pour la démocratie, alors c’est là qu’elle doit avoir lieu.
Imaginez ces brutes de colons, que personne n’arrête, rencontrer des hordes de manifestants brandissant des drapeaux israéliens, tout comme eux, et leur barrer la route. Cela aurait pu être la Marche des drapeaux des démocrates israéliens. Imaginez ces misérables lâches, qui donnent toujours des coups de poing, face à une force défensive de manifestants. Un petit groupe louable de l’organisation Free Jerusalem a bien tenté de bloquer le passage des colons de Gush Etzion, mais cela n’a pas suffi.
«Que je venge [la perte] de mes deux yeux», chantent-ils, «par un acte de vengeance contre les Palestiniens, que leur nom soit effacé». Quelqu’un doit leur répondre. Quelqu’un doit chanter: «Que je venge mes deux yeux par un acte de vengeance contre les colons violents, que leur nom soit effacé.»
Quelqu’un aurait dû sauver l’honneur d’Israël. Quelqu’un aurait dû défendre les Palestiniens qui n’ont plus personne pour veiller à leur sécurité, à leurs biens et à leur honneur, ni dans la bande de Gaza, ni à Jérusalem.
Certes, cette fois-ci, les agents de la police des frontières ont sauvé Atrash d’un véritable lynchage, mais ils ne se comportent pas toujours ainsi, pas plus que les soldats. Ce ne sont pas les discours fleuris, les danses dans la ville occupée, la célébration sous forme d’humiliation de ses habitants, mais Atrash qui est le véritable héros de la Journée de Jérusalem. Il n’aurait pas dû être laissé seul.
En quittant la zone de confort de Tel Aviv pour converger vers la porte de Damas jeudi, le mouvement de protestation aurait pu protéger la démocratie avec son corps.
Traduction de Thierry Tyler-Durden