La solution à deux Etats : l’opium du peuple palestinien
Il est temps de dé-Osloïser la lutte palestinienne, nous explique Haidar Eid.
Une femme tient une pancarte ‘Boycott Israel’ pendant une manifestation contre l’offensive israélienne sur Gaza le 1er août 2014. (Dossier : Reuters/Steffi Loos)
Haidar Eid
29 déc. 2020
Le mois dernier, Saeb Erekat, principal négociateur palestinien et secrétaire général du Comité Exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine, est décédé à l’âge de 65 ans. Sa mort a été perçue par certains Palestiniens comme une métaphore de la fin de l’époque d’Oslo et de sa logique tordue.
Erekat et beaucoup de fonctionnaires politiques palestiniens de sa génération ont fermement soutenu la dite solution à deux États, insistant sur le fait que les Palestiniens seraient en mesure de conclure un accord équitable avec les Israéliens et leurs protecteurs américains afin de mettre en place un État palestinien indépendant sur des parties de la Palestine historique.
L’illusion de la réalité de cette possibilité a été maintenue pendant des décennies de colonisation continue et d’accords désastreux. C’est « l’opium du peuple palestinien ».
Les accords avec Israël signés par l’Egypte en 1978 à Camp David, par les Palestiniens en 1993 à Oslo et en Jordanie en 1994 à Wadi Araba étaient supposés être des étapes nécessaires vers l’autodétermination des Palestiniens et vers « la paix » au Moyen Orient en général.
Mais tous ces accords ont ignoré l’existence du peuple palestinien en tant que peuple et ses droits fondamentaux, dont le droit au retour des réfugiés palestiniens et l’égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël.
Au lieu d’insister sur ces droits fondamentaux et de suivre l’exemple du mouvement anti-apartheid de l’Afrique du Sud, qui a mobilisé la société civile internationale autour de l’idée de une personne, un vote et l’installation d’un État démocratique laïque, un État ni fondé sur la race, ni sectaire, la direction politique palestinienne a réduit le peuple palestinien uniquement à ceux qui vivaient en Cisjordanie, dans la Bande de Gaza et à Jérusalem-Est.
Cela a abouti à la formation d’un Bantoustan palestinien de territoires sans lien, où les Palestiniens vivent sous la terreur constante d’une occupation militaire et où l’Autorité Palestinienne n’exerce pas pleinement son autorité.
L’insistance à persévérer sur la voie d’Oslo vers un solution illusoire à deux États a persisté même après le vote par Israël de la loi État-Nation, par laquelle il déclarait explicitement que le droit à l’autodétermination sur « la Terre d’Israël » était « réservée au seul Peuple juif » – ce qui veut dire que, selon l’État d’Israël, les Palestiniens ne peuvent jouir de ce droit. Et elle a persisté même alors que des États arabes forçaient le pas vers une normalisation avec Israël sans aucune concession sur la formule « la Paix pour la Terre » et alors que les États-Unis proposaient encore un autre « accord de paix » dans lequel ils offraient aux Palestiniens rien de plus qu’une humiliante survie.
Oslo et ses processus dérivés ne tiennent aucun compte de l’éléphant dans la pièce – le régime d’apartheid qu’Israël a efficacement imposé sur la Palestine historique. Ils n’accordent non plus aucune attention à la conscience de Sumud (ténacité) qui a émergé du combat des Palestiniens. Et ils ne tiennent aucun compte non plus de la longue tradition palestinienne de résistance civile et politique.
Au long des années, de nombreux Palestiniens en sont venus à voir Oslo pour ce qu’il est et ont choisi de tracer des voies alternatives pour assurer les droits des Palestiniens.
En 2001, un an tout juste après l’éruption de la Deuxième Intifada, le forum des ONG de la Conférence Mondiale Contre le Racisme (WCAR) s’est tenu à Durban en Afrique du Sud. Il a offert un diagnostic très clair sur la nature du projet sioniste et a jeté les bases d’une voie beaucoup plus pratique mais aussi progressiste vers une nouvelle coopération croisée entre les Palestiniens opprimés et d’autres groupes marginalisés.
En 2005, le Mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) a été créé et, deux ans plus tard, le Comité National BDS a été constitué pour tracer et faire avancer sa trajectoire. BDS, ainsi que la création de la Campagne pour Un seul État Démocratique et la Grande Marche du Retour – pour ne donner que quelques exemples – représentent tous le début d’un processus de dé-osloïsation de l’esprit des Palestiniens. Et dans ce processus, Gaza a joué un rôle central.
La plupart des événements qui ont eu lieu dans la Bande depuis les élections législatives de 2006 traduisent un rejet absolu des Accords d’Oslo et de leurs conséquences. Lorsque nous avons à l’esprit que 75 à 80 pour cent des résidents de Gaza sont des réfugiés, le contexte anti-colonial et anti-Oslo des résultats de l’élection deviennent d’autant plus clairs.
Les années suivantes, les appels à un paradigme alternatif qui divorce de la fiction de la « solution à deux prisons » se sont intensifiés. C’est un paradigme qui prend les sacrifices de la population de Gaza comme un tournant dans la lutte pour la libération des Palestiniens, un paradigme qui se construit sur le mouvement mondial anti-apartheid croissant qui a bénéficié d’une impulsion due aux assauts de 2009, 2012, 2014 sur Gaza et à la Grande Marche du Retour.
Pour la plupart des militants palestiniens, la dé-Osloïsation de la Palestine est devenue une condition préalable à la création de la paix dans la justice. Ceci requiert une redéfinition de la cause palestinienne en tant que lutte anti-coloniale contre un système de colonialisme de peuplement et d’apartheid, et de réunification des trois composantes du peuple palestinien, c’est-à-dire, les résidents de Gaza et de la Cisjordanie, les réfugiés et les citoyens palestiniens d’Israël.
Les premières étapes de ce processus sont nées à Durban en 2001. D’une façon très particulière, la déclaration de la WCAR exigeait des Palestiniens qu’il offrent une orientation vers l’outil de solidarité internationale le plus efficace avec leur lutte pour mettre fin à l’apartheid en Palestine historique. Le langage utilisé dans la déclaration était clair, diagnostique, ferme et – le plus important – sans compromis sur les droits fondamentaux :
« Nous déclarons qu’Israël est un État raciste, d’apartheid dans lequel la marque de l’apartheid en tant que crime contre l’humanité s’est caractérisée par la séparation et la ségrégation, la dépossession, l’accès restreint à la terre, la dénationalisation, la bantoustanisation’ et des actes inhumains. »
Et, pour nous tous en Palestine, ceci fut le commencement de notre moment sud-africain, une étape dans notre longue marche vers la liberté, l’égalité et la justice.
Les idées exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position éditoriale d’Al Jazeera.
Haidar Eid est professeur associé à l’université Al-Aqsa de Gaza.
Traduction : J. Ch. pour Campagne BDS France Montpellier
Source : Al Jazeera