L’affrontement historique de Rashida Tlaib avec le lobby pro-Israël au sujet de l’“apartheid”
Par Philip Weiss 23 septembre 2022
Les propos de Rashida Tlaib selon lesquels “on ne peut pas prétendre qu’on défend des valeurs progressistes tout en soutenant le gouvernement d’apartheid d’Israël” deviennent un jalon décisif au sein de l’aile progressiste du Parti démocrate.
Des groupes juifs de premier plan ont attaqué Tlaib, qui aurait, selon eux, appelé à la destruction d’Israël. Jonathan Greenblatt, de l’Anti-Defamation League (ADL, Ligue anti-diffamation) a déclaré qu’elle était antisémite. Et le groupe de pression de droite Democratic Majority for Israel (Majorité démocrate pour Israël) a contribué à rassembler un grand nombre de membres démocrates de la Chambre des Représentants pour condamner ses propos, le Représentant Ritchie Torres prenant la tête du cortège et Debbie Wasserman Schultz lui emboîtant le pas.
Visiblement, Tlaib a touché un point sensible. Il s’avère très important pour le lobby pro-Israël de persister à affirmer que l’on peut être progressiste et soutenir Israël. En disant la vérité sur l’apartheid israélien, on porte atteinte à cet effort.
Presque aucun des démocrates qui ont attaqué Tlaib n’a même mentionné la partie de ses propos consacrée à l’apartheid. Ils ne veulent pas la prendre en compte. Ils ne veulent pas s’occuper de ce qu’Israël fait réellement et des conditions dans lesquelles vivent les Palestiniens. La seule chose qu’ils veulent dire, c’est qu’on peut soutenir Israël et être progressiste, affirmation qui n’est expliquée ni défendue d’aucune manière au-delà de son énoncé.
Les sionistes dits “libéraux” sont divisés. L’association Americans for Peace Now (APN, les Américains pour la Paix maintenant) a soutenu Tlaib. L’APN :
Rien de ce qu’a dit @RepRashida n’est antisémite. En utilisant les accusations d’antisémitisme comme une arme, on affaiblit le véritable combat contre l’antisémitisme et on ne fait rien pour assurer aux Juifs une plus grande sécurité.
Quant à J Street, ce groupe a rejoint la mêlée contre Tlaib et a soigneusement évité le mot “apartheid”.
Nous sommes d’accord avec le Représentant Nadler. Il faut une clarté totale sur ce point : on peut défendre des valeurs progressistes et soutenir avec force l’État d’Israël, tout en critiquant les politiques suivies par le gouvernement israélien. Le recours à un test chimique qui laisserait entendre autre chose est nocif et erroné.
J Street se réfère au tweet du représentant Nadler condamnant Tlaib sans mentionner l’apartheid :
Je rejette fondamentalement la notion selon laquelle on ne peut pas soutenir le droit d’Israël à exister en tant qu’État juif et démocratique tout en étant un progressiste.
Apparemment, être un État juif, cela signifie être un État d’apartheid.
La bonne nouvelle, c’est qu’Israël figure de plus en plus dans le débat politique grand public, où l’on voit les hautes instances démocrates et juives s’efforcer d’empêcher l’utilisation du mot “apartheid” au moyen de leur arme de choc, les accusations d’antisémitisme.
En fait, les groupes de défense des droits humains s’entendent largement pour dire que la discrimination et les persécutions pratiquées par Israël envers les Palestiniens relèvent de l’apartheid. “C’est un fait pur et simple”, écrit Beth Miller de la branche Action de Jewish Voice for Peace (JVP, Une Voix juive pour la paix). Miller :
“La seule membre palestino-américaine du Congrès ne peut pas ouvrir la bouche sans déclencher une campagne coordonnée de calomnies et d’attaques destinée à la dénigrer, à déformer ses propos et à cacher une réalité indéniable – Israël commet contre les Palestiniens le crime brutal d’apartheid.”
Le terme “dénigrer” se réfère certainement à l’attaque odieuse lancée par le président d’ADL Jonathan Greenblatt :
En une seule phrase, @RepRashida dit aux Juifs américains qu’ils doivent subir un test chimique d’antisionisme pour s’intégrer à des milieux progressistes, tout en renforçant son propre #antisemitism par la diffamation d’Israël en tant qu’État d’apartheid.
“Tlaib ne mentionne tout simplement à aucun endroit de sa brève intervention ‘un test chimique d’antisionisme’. Greenblatt a fabriqué cela de toutes pièces, en y ajoutant l’idée que Tlaib prendrait pour cible les Juifs américains”, souligne Michael Brown d’Electronic Intifada (EI, Intifada électronique).
“En une seule phrase, @JGreenblattADL assimile les Juifs américains aux sionistes, ce qui constitue en soi un bobard antisémite, tout en diffamant @RashidaTlaib qu’il a traitée d’antisémite parce qu’elle a fait état d’une réalité démontrable preuves à l’appui”, écrit Scott Roth, notre directeur de publication.
Nous avons eu un avant-goût de cela il y a un an quand Rashida Tlaib a cité des rapports d’organisations de défense des droits humains qui définissaient Israël comme un État d’apartheid, et que son collègue Ted Deutch s’est levé en pleine Chambre pour la condamner en raison de son “antisémitisme”. Deutch a soutenu que Tlaib “avait diffamé notre allié” et appelé à la destruction d’Israël.
De nombreuses personnalités de gauche ont pris position pour Rashida Tlaib à cette occasion, mais pas dans le cadre du Congrès. Le Représentant Andy Levin a fait campagne avec Tlaib cet été dans le Michigan mais n’a pas pris sa défense face aux attaques. Jake Tapper de CNN joue les porteurs d’eau pour les adversaires de Tlaib. Tapper n’arrive pas à tenir compte des rapports sur l’apartheid.
Mais il existe maintenant deux ou trois bases de données regroupant des experts et des organisations qui disent que c’est de l’apartheid.
Soixante pour cent des spécialistes du Moyen-Orient le disent. Deux tiers des Palestiniens disent que c’est de l’apartheid, selon des sondages. Human Rights Watch le dit dans son rapport de l’an dernier, “Un seuil franchi”. B’Tselem est d’accord, décrivant “un régime d’apartheid du fleuve jusqu’à la mer”. Amnesty International, Al Haq et Yesh Din parlent aussi d’apartheid.
L’Afrique du Sud dit la même chose. C’était aussi le cas de Desmond Tutu. Et de Jimmy Carter, et de Noam Chomsky. Et de Betty McCollum, à partir de 2018.
Une base de données cite Tlaib : “J’en ai assez des gens qui agissent sur la base de leurs peurs, plutôt que de faire ce qui est juste, à cause de l’intimidation des groupes de pression pro-israéliens. C’est de l’apartheid, purement et simplement.”
Jim Zogby s’exprime dans le même sens : “L’ADL applique depuis longtemps un test chimique pro-Israël aux Américano-Arabes & aux soutiens des droits palestiniens. Nous avons été calomniés, mis sur des listes noires, & exclus de la vie politique & des coalitions & cela continue. Ils ont fait de grands dégâts. Maintenant ils veulent jouer aux victimes. Ne touchez pas à Rashida.”
“La vitesse avec laquelle les principaux membres démocrates de la Chambre des représentants se sont regroupés contre la Représentante Tlaib – sous prétexte de propos délibérément déformés qui visaient les personnes progressistes-sauf-sur-la-Palestine – est un exemple de l’engagement des Démocrates en faveur de l’impunité israélienne & de leurs sentiments anti-palestiniens dissimulés mais profonds”, écrit Lara Friedman.
Le groupe juif fondé récemment IfNotNow (Si ce n’est maintenant) apporte un soutien important à Tlaib. Il lui a apporté une challah pour le Nouvel An juif. Élément tout aussi important, IfNotNow propose des arguments solides qui confirment qu’Israël pratique l’apartheid :
Rashida est actuellement attaquée par des politiciens bien en place et des organisations juives qui refusent de reconnaître que le soutien à l’égalité et aux droits humains pour tous et toutes implique l’opposition à l’apartheid, système d’inégalité et de déplacements forcés qui opprime des millions de Palestiniens.
Mais le vent tourne, et un nombre croissant de Juifs et de leurs alliés soutiennent Rashida..
Elias Newman, chargé des communications pour le groupe, a lui aussi des arguments :
Les attaques contre Rashida sont si fréquentes qu’il est facile d’oublier qu’elle s’est vu interdire de rendre visite à sa grand-mère en Cisjordanie sauf si elle jurait de ne participer là-bas à aucune manifestation non violente. Il n’a jamais fallu que je jure de ne pas manifester au cours de mes voyages — c’est pour cela que nous parlons d’apartheid.
On trouve également un soutien solide dans la déclaration de JVP :
Il est indéniable et irréfutable qu’Israël est un État d’apartheid. Les principales organisations mondiales de défense des droits humains, ainsi que les groupes de défense des droits humains palestiniens et israéliens, ont recueilli à maintes reprises des documents qui le prouvent. À vrai dire, les Palestiniens parlent depuis plusieurs décennies au monde entier de l’apartheid israélien.
Il est également indéniable et irréfutable que les valeurs progressistes de la liberté et de la justice, tout comme l’objectif d’abattre les systèmes qui nous oppriment, sont en contradiction avec l’apartheid.
En d’autres termes : vous ne pouvez pas prétendre être un progressiste en continuant à soutenir et à défendre le régime d’apartheid exercé par Israël sur les Palestiniens.
Les attaques contre la membre du Congrès Tlaib sont des tentatives transparentes pour la calomnier en utilisant comme arme de fausses accusations d’antisémitisme visant la seule membre palestinienne du Congrès.
Peter Beinart interpelle Jerry Nadler au sujet de l’hypocrisie de son attaque contre Rashida Tlaib :
Au cœur de votre lutte contre le trumpisme réside votre conviction concernant les États-Unis, qui devraient être un pays fondé sur l’égalité devant la loi, sans considération de race, de religion ou d’appartenance ethnique. Pourquoi ce principe serait-il erroné en ce qui concerne Israël-Palestine ?
Ben Lorber souligne également la contradiction évidente dans le cas présent. Selon lui, le consensus progressiste change en ce qui concerne Israël, et il faut s’y habituer :
Vous savez, si vous estimez que vous faites partie du “mouvement progressiste” mais que ça vous met mal à l’aise de contester franchement le racisme anti-palestinien institutionnalisé et systémique d’Israël, vous allez voir vos positions mises en cause de plus en plus souvent. Que vous soyez juif, chrétien, ou autre chose.
Je voudrais souligner que la flambée officielle d’opposition à Rashida Tlaib est une démonstration du pouvoir du lobby pro-Israël au sein du Parti démocrate. Il y a encore une possibilité que cela rapporte des millions de dollars pouvant influer sur les concurrences politiques et, ayant cette question à l’esprit, Joe Biden a dit à la direction démocrate de persister fermement dans sa ligne sur la critique d’Israël.
h/t Michael Arria et Dave Reed.
Traduction SM pour BDS France Montpellier
https://mondoweiss.net/2022/09/rashida-tlaibs-historic-face-off-with-israel-lobby-over-apartheid/