L’appui de la Liste arabe commune à Benny Gantz était une faute
Les responsables politiques palestiniens ne gagneront rien à soutenir un général accusé de crimes de guerre pour qu’il devienne Premier ministre.
Haidar Eid – 24 septembre 2019 – Al Jazeera
Le dirigeant des Bleu et Blanc, Benny Gantz, prend la parole au siège de son parti après l’annonce des sondages sortis des urnes à Tel Aviv, Israël, 18 septembre 2019 (Corinna Kern/Reuters)
L’une des graves conséquences des désastreux Accords d’Oslo a été de redéfinir le peuple palestinien comme étant uniquement celui vivant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza occupées. Les 1,8 million de citoyens palestiniens de seconde classe en Israël et les six millions de réfugiés palestiniens de la diaspora ont été ainsi relégués en dernier dans l’ordre du jour de toutes les discussions, étant donné qu’ils n’ont aucun représentant à la table des négociations.
De ce fait, chaque composante du peuple palestinien poursuit son propre programme et sa propre solution pour un statut final – que ce soit un État indépendant pour ceux de Cisjordanie et de Gaza, une indemnité budgétaire plus importante pour les citoyens palestiniens en Israël, ou des droits civils accrus pour les réfugiés vivant dans le monde arabe.
C’est seulement dans ce contexte que l’on peut comprendre la décision catastrophique qui a été prise par trois des quatre partis formant la Liste arabe commune de soutenir Benny Gantz pour être le nouveau Premier ministre d’Israël – un homme qui a orchestré des crimes de guerre lors des agressions israéliennes de 2014 contre Gaza, agressions qui ont tué plus de 2200 Palestiniens, et ce qu’il n’a jamais regretté.
La raison pour laquelle la Liste arabe commune, à l’exception des trois membres du parti Balad, a décidé de proposer Gantz, est : « nous nous voulons mettre fin à l’ère Netanyahu », comme l’a expliqué son président, Ayman Oudeh.
Il a ajouté dans l’un de ses tweets : « nous voulons vivre dans un lieu de paix basé sur la fin de l’occupation, l’établissement d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël, une égalité réelle, au niveau civil et national, une justice sociale et certainement sur une démocratie pour tous », sans expliquer en quoi cela pouvait justifier de proposer Gantz, alors que celui-ci avait déjà, durant la campagne électorale, rejeté toutes ces exigences en bloc, et qu’il s’était vanté de tuer des Palestiniens.
Cette initiative sans précédent des responsables politiques palestiniens en Israël, qui intervient à un moment où des tireurs d’élite israéliens sont en train de tuer et de mutiler des manifestants palestiniens chaque vendredi à la clôture avec Gaza, a provoqué une onde de choc dans toute la Palestine historique. Ceci ne tient pas seulement au fait que leur appui accorde une légitimité à un criminel de guerre qui défend la loi raciste d’un État-nation en Israël, qui relègue les Palestiniens à des citoyens de seconde classe, mais aussi au fait qu’en tant que Premier ministre, il va certainement continuer de commettre ses crimes contre le peuple palestinien.
Il va repartir de là où s’est arrêté Benjamin Netanyahu, et il continuera de promouvoir et de consolider l’apartheid, tuant des civils palestiniens innocents, gardant la Cisjordanie sous occupation militaire, assiégeant et étranglant la bande de Gaza dans un acte de punition collective, annexant la terre palestinienne et étendant les colonies juives illégales de peuplement en Cisjordanie.
Cette décision de la Liste arabe commune reflète la myopie et l’opportunisme politique d’une partie de l’élite politique palestinienne en Israël. Elle réduit la lutte des citoyens palestiniens en Israël pour une véritable égalité, et celle de tous les Palestiniens pour la liberté et la justice, à une simple « éviction de Netanyahu » et à son remplacement par un autre criminel de guerre.
Au lieu d’exiger tous leurs droits, ils sont prêts à ramasser les « miettes de compassion lancées de la table de quelqu’un qui se considère comme (leur) maître », comme dirait l’archevêque Desmond Tutu.
Les répercussions de la décision prise par la Liste arabe commune nous hanteront pendant longtemps. Il s’agit d’une forme de normalisation, dans laquelle le colonisé, aveuglé par son admiration d’une fausse démocratie ethnique, libérale du colonisateur, ne parvient pas à comprendre les mécanismes du pouvoir d’un État colonial de peuplement.
Comme l’ont souligné de nombreuses forces politiques palestiniennes, de gauche comme de droite, le fait de participer aux élections israéliennes est en lui-même extrêmement problématique. Il légitime les structures politiques israéliennes, telles que la Knesset israélienne, où l’oppression du peuple palestinien est constamment légiférée et légalisée.
Soutenir ces structures ne peut en aucune manière aider les Palestiniens à réaliser leurs droits humains fondamentaux, la justice ou l’égalité. Étant donné que le cœur du système est l’apartheid, travailler en son sein ne peut conduire, et ne conduira jamais, à la libération du peuple palestinien, car ce système est fondé sur sa ségrégation, son oppression et son occupation.
Il faut boycotter ce système afin de remettre en cause la légitimité de son ordre raciste et d’ouvrir la voie à d’autres alternatives. Cependant, pour qu’il en soit ainsi, il est clair qu’est nécessaire une décolonisation de l’esprit palestinien en Israël, afin que les dirigeants des partis arabes en Israël comprennent que s’opposer à la discrimination politique et idéologique du système implique de rejeter toutes ses structures de pouvoir.
Tant que ce ne sera pas le cas, la Liste arabe commune continuera son jeu politique, lequel non seulement exclut les deux autres composantes du peuple palestinien, mais joue aussi avec les droits fondamentaux de sa propre circonscription électorale.
À propos de l’auteur :
Haidar Eid est maître de conférence à l’Université Al-Aqsa à Gaza.
Traduction : JPP pour l’Agence média Palestine et Campagne BDS France MONTPELLIER