Les faux-semblants de justice de l’État colonial
Une Palestinienne dans une chambre saccagée par des soldats israéliens lors d’un raid nocturne à son domicile, au camp de réfugiés de Balata, dans la ville de Naplouse (Cisjordanie), en janvier 2017. Ahmad Al-Bazz ActiveStills
Maureen Clare Murphy 28 juin 2021
Quand Mohammed El-Kurd a dit que “vivre en Palestine, c’est comme d’avoir un policier dans ton lit”, il n’employait pas une tournure rhétorique ou une figure de style. L’analogie est si proche de la réalité qu’elle n’est ni une comparaison ni une métaphore.
El-Kurd sait de quoi il parle – sa famille est menacée de déplacement imminent, chassée de sa maison pour que des colons juifs puissent occuper leurs chambres dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem.
Chasser les habitants indigènes de leurs maisons et de leurs terres pour qu’ils puissent être remplacés par des colons juifs étrangers, tel est le principe central qui guide le projet sioniste en Palestine depuis une période antérieure à la déclaration de l’État d’Israël en 1948 et jusqu’à aujourd’hui.
Le 2 août, la Haute Cour d’Israël doit tenir une audience sur le sort de la famille El-Kurd et d’autres résidents de Sheikh Jarrah menacés d’expulsion de leur domicile.
Il n’y a guère de raison de penser qu’ils seront traités de façon équitable par la Cour, qui a pour habitude de donner son blanc-seing à toute pratique militaire ou étatique faisant avancer l’assujettissement des Palestiniens et la colonisation de leur terre par Israël.
— Mohammed El-Kurd (@m7mdkurd) June 22, 2021
[Traduction ]
“Tout ce foutu système est fabriqué par les colons. Les politiciens sont des colons, les sociétés sont gérées par des colons. Juges colons. Lois rédigées par les colons. Ce sont tous des colonisateurs et des fascistes et les flics colons les protègent quand ils envahissent notre maison. Merde à Israël et merde au sionisme.”
Validation systématique de crimes de guerre
La semaine dernière, la Haute Cour a approuvé une décision de détruire une maison appartenant à la famille de Muntasir Shalabi, un Palestinien incarcéré, accusé d’une fusillade depuis une voiture en marche qui a tué un Israélien et en a blessé deux autres le mois dernier.
La maison dont la démolition est prévue, dans le village de Turmus Ayya dans le centre de la Cisjordanie occupée, est habitée par l’épouse de Shalabi, séparée de son mari, et par leurs enfants. Ils ont tous la nationalité étasunienne.
Les démolitions punitives de maisons sont une forme de châtiment collectif – un crime de guerre contre les Palestiniens qui vivent sous occupation militaire israélienne – et une pratique en faveur de laquelle la Haute Cour se prononce depuis longtemps.
Dans son ensemble, le système judiciaire d’Israël existe pour fournir une façade libérale et démocratique à un régime brutal de colonialisme de peuplement.
En général, les Palestiniens ne peuvent trouver aucun recours auprès des tribunaux israéliens mais, à l’occasion, des défenseurs des droits humains, au prix de grands efforts et avec beaucoup de persistance, ont remporté des victoires en contestant les pratiques de l’occupation militaire au sein de ce système hostile.
Parmi ces pratiques figurent les raids israéliens nocturnes contre les habitations palestiniennes de Cisjordanie sous prétexte de “cartographie de renseignement”.
Au départ de cette procédure, un coup frappé à la porte d’une maison palestinienne réveille tous les membres d’une famille, et des soldats lourdement armés et masqués leur ordonnent de se rassembler dans une seule et même pièce.
Les envahisseurs armés inspectent et recensent toutes les cartes d’identité de la maisonnée, et recueillent également tous les numéros de téléphone, ainsi que les liens de parenté entre les résidents.
Pendant ce temps, des soldats vont de chambre en chambre, ordonnant à l’un des habitants de la maison d’ouvrir la porte de chaque placard et de soulever chaque matelas, avant de partir et de passer à la maison suivante.
Guerre psychologique
“Un policier dans ton lit” : l’expression est si proche de la réalité qu’elle ne peut passer pour une simple analogie à l’heure où une armée d’occupation étrangère viole le caractère sacré et privé des demeures familiales sans ordonnance judiciaire et sans aucun autre but que d’affirmer l’emprise israélienne sur tous les aspects des vies palestiniennes.
Comme l’explique le journaliste Jonathan Cook, la procédure de cartographie est une forme de guerre psychologique visant à priver les Palestiniens de tout sentiment de sécurité, même dans leur chambre à coucher.
Cette pratique a été contestée devant la Haute Cour d’Israël par les ONG Yesh Din et Physicians for Human Rights Israel, associées à six Palestiniens, qui ont formulé une requête pour l’interdiction des raids contre des domiciles privés palestiniens en l’absence d’ordonnance judiciaire.
Recevant une injonction de la Haute Cour “à se préparer à la possibilité de devoir présenter le libellé de la consigne suivie”, l’armée a fait en sorte de ne pas avoir à publier les détails de cette consigne, a relaté au début du mois de juin le quotidien israélien Haaretz.
Cependant, il est permis de recourir à la procédure en cas de “circonstances exceptionnelles”, échappatoire qu’Israël ne manquera pas d’exploiter.
Comme le souligne Cook, étant donné que la procédure cible des familles qui ne sont soupçonnées d’aucune infraction, “il est difficile d’imaginer quelles ‘circonstances exceptionnelles’ pourraient justifier ces raids dégradants et terrifiants”.
Israël continuera à faire intrusion dans des demeures palestiniennes partout en Cisjordanie, nuit après nuit, sous différents prétextes.
Le directeur de Yesh Din a indiqué récemment lors d’une rencontre à la Knesset, le parlement israélien, que la procédure de cartographie ne représente qu’une fraction des raids contre des habitations palestiniennes.
Les forces d’occupation israéliennes ont effectué quelque 130 opérations d’arrestations en Cisjordanie, sans compter Jérusalem-Est, au cours des deux premières semaines de juin. Comme le reconnaît l’armée elle-même, la plupart de ces opérations sont menées la nuit, entre minuit et 5 heures.
Muhammad Asfur, un Palestinien de Sinjil, localité de Cisjordanie, a témoigné ainsi devant Yesh Din : “Imaginez ce que ça représente de subir tous les quelques mois des intrusions dans votre maison, dans votre chambre. Alors que la maison devrait être un espace sûr, protégé, elle est devenue un lieu d’insécurité.”
Breaking the Silence, un groupe d’anciens militaires israéliens lanceurs d’alerte, souligne que l’objectif réel de la procédure de cartographie n’est pas de recueillir des données mais “de rappeler constamment aux Palestiniens vivant sous occupation que nous sommes aux commandes, et que nous avons le droit et la capacité d’entrer chez eux dès que nous le souhaitons.”
Il est difficile de surestimer les dommages psychologiques causés par les raids israéliens nocturnes contre les maisons palestiniennes.
Ces dommages ont été décrits en détail dans un rapport publié l’an dernier par Breaking the Silence, Yesh Din et Physicians for Human Rights Israel.
Des parents ont décrit aux chercheurs “un sentiment profond d’impuissance” et une incapacité à rétablir un sentiment de sécurité au domicile familial.
Ce sentiment de perte de contrôle peut entraîner l’inaptitude à dresser des plans pour le futur.
D’autre part, comme l’indique le rapport, l’hyperexcitation est “une réaction typique au trauma” qui met constamment le corps des victimes “en état d’alerte”, ce qui rend difficile de se détendre et provoque des troubles du sommeil.
“Lorsqu’ils sont prolongés, ces troubles peuvent nuire gravement au bien-être physique et mental”, ajoute le rapport.
Le fardeau psychologique est particulièrement lourd pour les enfants, pouvant causer des troubles du développement. Des parents ont dit aux chercheurs qu’ils constataient “des changements comportementaux ou émotionnels chez leurs enfants après l’invasion du domicile familial.”
L’objectif, c’est de terroriser
Ce sont des réactions normales à une réalité anormale qui résulte d’une politique israélienne s’en prenant au cœur même de la vie des Palestiniens.
“L’invasion de l’espace privé peut également déstabiliser le lien des membres de la famille avec la maison … un refuge qui symbolise la famille et dont la protection est valorisée sur les plans culturel et social”, souligne le rapport.
La terreur infligée aux Palestiniens par Israël n’est pas la conséquence involontaire et malheureuse d’opérations militaires imposées par la sécurité.
C’est une stratégie qui a tenu une place centrale dans le projet sioniste de colonisation en Palestine, avant même la déclaration de l’État d’Israël. Des soldats en uniforme et des colons violents terrorisent les Palestiniens et font de leur vie un enfer pour les pousser à renoncer à leur maison et à leur terre.
Pendant ce temps, la Haute Cour d’Israël fait semblant de rendre la justice alors que soldats et policiers traumatisent les Palestiniens dans leur chambre à coucher, infligeant de lourds dommages aux générations successives.
Traduction SM pour Campagne BDS France Montpellier