Les nombreuses prisons de la vie des Palestiniens
Zakaria Zubeidi arrive pour une audience au Tribunal Militaire d’Ofer, en Cisjordanie, le 28 mai 2021. (Yonatan Sindel/Flash90)
Par Amjad Iraqi
13 septembre 2021
Quand six Palestiniens se sont évadés de la célèbre Prison de Gilboa la semaine dernière, d’après ce que l’on dit en utilisant une cuiller pour creuser un tunnel de 20 mètres sous les murs de la prison, Israël a réagi de la seule façon qu’il connaisse : avec une punition collective.
Dans les jours qui ont suivi, des voitures de police et des jeeps de l’armée ont grouillé au nord d’Israël et en Cisjordanie, bouclant et harcelant plusieurs villes et villages palestiniens à la recherche des prisonniers. Le Shin Bet a arrêté et interrogé plusieurs membres des familles des fugitifs, bien qu’il apparaisse qu’ils n’aient joué aucun rôle dans l’évasion. Un Service Carcéral Israélien embarrassé a annulé les visites des familles pour tous les prisonniers et a essayé de « redistribuer » 400 détenus liés au mouvement du Jihad Islamique – auquel cinq des évadés appartenaient – pour ébranler leur organisation politique derrière les barreaux.
L’enfermement des Palestiniens, à la fois le corps et l’esprit, se trouve au cœur des institutions coloniales d’Israël. Il ne s’agit pas simplement de l’emprisonnement par Israël d’un chiffre estimé à un Palestinien sur cinq depuis le début de l’occupation en 1967. Quand un seul Palestinien enfreint un règlement, tous les Palestiniens devront être traités comme des coupables. Quand des murs de béton sont entrouverts, la « prison » est étendue par la main de l’homme et la technologie pour mettre des communautés entières sous surveillance. Quand un acte d’espérance envahit l’imagination des Palestiniens, l’État doit agir promptement pour l’écraser.
Cette politique de piégeage total est personnifiée dans la vie de Zakaria Zubeidi, le plus éminent des prisonniers évadés, qui a été repris samedi avec trois autres. Zubeidi était auparavant un commandant des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, consacrée à mener une campagne militante contre une puissance occupante qui a tué, parmi beaucoup d’autres, sa mère et son frère. Plus tard, parce qu’il était l’ami de feu le directeur Juliano Mer-Khamis, Zubeidi est devenu un défenseur de la « résistance culturelle », aidant à rétablir le Freedom Theater (le Théâtre de la Liberté) dans sa ville d’origine de Jénine et s’engageant même avec des militants de la paix israéliens.
Zubeidi est passé de l’une de ces activités à l’autre, mais les deux l’ont confronté à la répression et à l’emprisonnement. La lutte armée que Zubeidi a soutenue pendant la Seconde Intifada a échoué de façon catastrophique sous le poids de la puissance militaire israélienne, paralysant la société palestinienne et sa cause politique. Par ailleurs, la quête de culture de Zubeidi n’a pas empêché en 2011 Israël d’annuler sans explication l’amnistie qu’il lui avait accordée quatre ans plus tôt, et n’a pas non plus empêché l’Autorité Palestinienne de l’enfermer sans charge pour plusieurs mois en 2012. Pour les bénéficiaires de l’apartheid, un Palestinien qui promeut l’art est une menace aussi grande qu’un Palestinien qui porte un fusil.
L’incapacité de Zubeidi à se libérer de ces chaînes, quelle que soit la voie qu’il choisisse, en dit beaucoup sur l’intolérance totale du régime face à la résistance palestinienne à leur assujettissement. Cette doctrine, qui ne voit aucune différence entre violence et non violence, est le socle de l’anti-palestinianisme à travers le monde : Il existe aux États Unis une législation qui cherche à écraser les boycotts et les désinvestissements contre Israël ; une définition de l’IHRA qui met sur le même plan la critique d’Israël et l’antisémitisme ; et un discours qui considère l’exigence de liberté et d’égalité comme un appel à l’anéantissement des Juifs.
Il n’est alors pas très étonnant que l’évasion de la prison de Gilboa ait enthousiasmé les Palestiniens et terrifié les autorités israéliennes. Pendant cinq jours jusqu’à leur nouvelle capture samedi, les six fugitifs ont défié les pièges qui les entouraient et ont offert un répit symbolique face au regard prédateur d’Israël. Et, après une longue dormance, leur exploit stupéfiant a remis la lutte des prisonniers sous lels projecteurs, avec plus de 1.300 détenus qui se préparent à entrer en grève de la faim pour protester contre les abus de pouvoir des autorités israéliennes. De nombreux observateurs vont encore inexplicablement être déconcertés par certaines histoires complexes ou certaines actions dangereuses des prisonniers, et pourtant, ces Palestiniens méritent toujours la compréhension contextuelle que nous accordons à d’autres prisonniers politiques dans le monde – y compris la reconnaissance des réalités qui assurent, même hors de la prison, qu’ils ne peuvent jamais réellement être libres.
Amjad Iraqi est rédacteur et écrivain à +972Magazine. Il est par ailleurs un analyste politique du groupe de réflexion Al-Shabaka, et a été auparavant un coordinateur de plaidoyer au centre juridique Adalah. C’est un citoyen palestinien d’Israël qui vit à Haïfa.
Traduction : J. Ch. pour Campagne BDS France montpellier
Source : +972 Magazine