Lettre de la maire de Barcelone au premier ministre d’Israël
8 février 2023
Hon. M Benjamin Netanyahou
Premier ministre
État d’Israël
Cher Premier Ministre :
En tant que maire de Barcelone, je porte à votre connaissance que, récemment, une centaine d’entités sociales et d’associations basées dans la ville ont soumis une pétition au conseil municipal sous le nom de Barcelona avec l’apartheid NON, Barcelona avec les droits humains OUI. Cette pétition a été réalisée à travers un processus participatif réglementé qui, compte tenu des milliers de signatures des habitants de Barcelone, implique l’obligation de donner une réponse institutionnelle à leurs demandes spécifiques. A savoir :
- dénoncer le crime d’apartheid contre le peuple palestinien,
- donner une impulsion aux entités palestiniennes et israéliennes qui œuvrent pour la paix sur le territoire
- et rompre les accords de jumelage que Barcelone maintient avec la mairie de Tel-Aviv, car ils ne répondent ni au contexte ni aux objectifs qui étaient ceux de leur signature il y a 25 ans maintenant.
Les entités signataires dénoncent les violences dont souffre le peuple palestinien dans un processus de persécution et de dépossession qui dure déjà depuis plus de soixante-dix ans. Des décennies d’occupation militaire par l’État d’Israël dans les territoires occupés, y compris Jérusalem-Est. Comme l’a souligné le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, cette occupation a été menée en violation du droit international. Les politiques d’annexion des territoires, la construction de colonies et la violation des droits de l’homme à l’encontre de la population palestinienne constituent une violation de la quatrième Convention de Genève de 1949 et de la résolution 242 du Conseil de Sécurité des Nations Unies de 1967.
Différentes voix internationales sont arrivées à la conclusion ces dernières années que ces faits s’apparentent à l’apartheid ou s’y rapprochent. Ban Ki-Moon, ancien secrétaire général des Nations unies, a écrit en 2021 que « la domination et l’oppression structurelles du peuple palestinien au moyen d’une occupation indéfinie […] pourraient constituer un apartheid‘. Le lauréat du prix Nobel Desmond Tutu a déclaré en 2014 : “Je sais de première main qu’Israël a créé une réalité d’apartheid à l’intérieur de ses frontières et à travers son occupation”, et il a signé un document dénonçant la situation rejoint par d’autres lauréats du prix Nobel de la paix tels que Rigoberta Menchú, Adolfo Pérez Esquivel ou Betty Williams.
De même, des organisations reconnues de défense des droits de l’homme telles que Human Rights Watch, Amnesty International et l’association israélienne B’Tselem ont dénoncé que les pratiques de l’État d’Israël contre la population palestinienne peuvent constituer des crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution. En ce qui concerne la Catalogne, le Parlement lui-même a approuvé à la majorité une résolution qui qualifiait les pratiques d’occupation israéliennes d'”équivalentes à l’apartheid” en juin dernier.
Le nombre et la gravité des violations des droits de l’homme documentées par les organisations internationales dans les territoires palestiniens occupés ont augmenté et sont entrés dans une nouvelle phase d’impunité qui nous oblige à prendre des mesures : nous ne pouvons pas rester sans réagir face à la violation du droit international. L’histoire nous a appris que les villes doivent prendre parti et jouer un rôle actif dans la construction de la paix et la défense des droits de l’homme, comme en témoigne la récente suspension des relations entre Barcelone et Saint-Pétersbourg après l’invasion du territoire ukrainien par la Russie, qui est également une violation flagrante du droit international.
C’est pourquoi, en tant que maire de Barcelone, ville méditerranéenne qui défend les droits humains, je ne peux rester impassible face à la violation systématique des droits fondamentaux de la population palestinienne. Ce serait une grave erreur d’appliquer une politique de deux poids deux mesures et de fermer les yeux sur une violation largement vérifiée et documentée par les organisations internationales depuis des décennies. Je suis consciente que la population civile israélienne a également subi des attaques et des épisodes violents et ne doutez pas qu’en tant que maire, je condamne et condamnerai tout type de violence contre la population civile de n’importe quel pays.
Pour toutes ces raisons, je vous fais savoir que j’ai décidé de suspendre temporairement les relations avec l’État d’Israël et avec les institutions officielles de cet État, y compris les accords de jumelage avec la mairie de Tel-Aviv, jusqu’à ce que les autorités israéliennes mettent fin à la violation systématique des droits humains à l’encontre de la population palestinienne et respectent pleinement les obligations qui lui sont imposées par le droit international et les différentes résolutions des Nations unies. Cette mesure affecte uniquement et exclusivement les relations institutionnelles de la mairie de Barcelone avec Israël et le reste de ses institutions officielles, et ne concerne en aucun cas ses citoyens. Il est essentiel de différencier à tout moment les politiques et les actes d’un État – dans ce cas, Israël-, de toute la population juive et de sa culture. Barcelone est une ville fière de son héritage juif ainsi que des communautés juives qui font aujourd’hui également partie de la ville. En tant que maire, je me tiendrai aux côtés de ces communautés face à toute manifestation d’antisémitisme.
Enfin, je voudrais vous informer que la mairie de Barcelone renforcera son soutien et sa collaboration avec les entités palestiniennes et israéliennes qui travaillent à la construction de la paix dans les territoires palestiniens occupés.
Cordialement,
Ada Colau Ballano
CC : Ambassade d’Israël en Espagne
Traduction BDS France Montpellier/ L. C-M