Par Samah Jabr
La semaine dernière, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et les ministres des affaires étrangères représentant les Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn ont signé l’accord de paix baptisé « Accords d’Abraham » à Washington D.C., normalisant ainsi leurs relations au détriment des droits nationaux et humains des Palestiniens. Le président américain Donald Trump était l’hôte de la cérémonie et il a déclaré que ces accords ne sont qu’un début et que d’autres pays concluront très bientôt des accords similaires, mettant ainsi fin à l’isolement d’Israël dans la région et excluant ainsi les Palestiniens.
La Ligue arabe a refusé de soutenir les Palestiniens et de voter une résolution dénonçant les accords de normalisation. Auparavant, Jared Kushner, le principal conseiller et gendre de Trump, s’était rendu au Moyen-Orient pour rencontrer les dirigeants arabes, même ceux du Soudan post-révolutionnaire à qui l’on avait promis la fin des sanctions et le retrait de la liste des États terroristes s’il suivait les traces des Émirats arabes unis. En cherchant à se faire de nouveaux amis pour soutenir l’occupation israélienne et à renforcer son bilan, Kushner espère obtenir un afflux de voix pour Trump « le faiseur de paix », juste avant l’élection présidentielle américaine de novembre, le tout aux dépens des Palestiniens.
Afin de réduire l’incompréhension des masses arabes, ce processus politique a été synchronisé avec une campagne de relations publiques et de médias sociaux promouvant une « fascination pour Israël ». Cette campagne est soutenue par la diffusion de récits et de films en arabe célébrant l’humanité, la beauté et le caractère progressiste d’Israël. Ce discours efface complètement le récit palestinien et les souffrances indéniables de ce peuple depuis de nombreuses décennies.
En effet, c’est une campagne qui salit la réputation du peuple de Palestine, nie l’occupation brutale d’Israël et affirme que les Palestiniens ont volontairement vendu leurs terres et leurs foyers à l’État sioniste.
Ce récit mensonger affirme que les Palestiniens et leurs plaintes sont un fardeau pour le monde arabe et promeut le hashtag « La Palestine n’est pas ma cause ».
Tout cela se passe alors qu’Israël – en pleine normalisation avec les États arabes et en pleine pandémie de Covid-19 – démolit des maisons palestiniennes, assassine des civils palestiniens désarmés et arrête des enfants palestiniens.
Tous les partis politiques palestiniens ont condamné les accords négociés par les États-Unis comme un « coup de poignard dans le dos ». Le Premier ministre palestinien les a qualifiés de « jour noir dans le triste calendrier » de l’histoire palestinienne. Ils constituent en effet une nouvelle tentative de vaincre psychologiquement les Palestiniens.
Le peuple palestinien est sans aucun doute indigné par la normalisation des États arabes et l’impuissance de ses propres représentants. J’ai vu des Palestiniens pleurer dans les rues en voyant les drapeaux des pays engagés dans la normalisation, projetés sur les murs de Jérusalem. Ils considèrent ces accords comme une trahison de la cause palestinienne et un rabaissement des sacrifices palestiniens et arabes consentis depuis de nombreuses décennies.
Ce que je comprend, c’est que l’Autorité palestinienne n’est pas opposée à la normalisation en principe, mais plutôt à un processus de « normalisation » qui les exclut en tant que participants. C’est l’une des ironies du processus actuel que les représentants palestiniens aient, pendant les années d’Oslo, ouvert la voie aux dirigeants arabes pour qu’ils avancent vers leur propre normalisation avec Israël. De plus, l’AP craint que la normalisation actuelle ne prépare la voie à Mohammed Dahlan – un allié fidèle des États-Unis, des Émirats arabes unis et d’Israël – pour remplacer son adversaire Mahmoud Abbas en tant que président de l’AP.
L’appel officiel à une « journée de colère » le 15 septembre n’a pas été suivi par de nombreux Palestiniens, car beaucoup d’entre eux se sont lassés de l’hypocrisie politique et doutent qu’une mobilisation publique ait un grand impact sur l’ordre mondial régional et international. Au cours des décennies d’Oslo, les représentants palestiniens – par leurs propres motivations conscientes et inconscientes – ont considérablement affaibli la résilience des communautés en Palestine. La résistance palestinienne légitime a été minée par l’absence de processus démocratique.
Aujourd’hui, les représentants palestiniens semblent avoir acté leur impuissance au sein de la politique internationale et, par conséquent, ils tentent de relancer un discours palestinien révolutionnaire comme moyen de se retrancher derrière l’esprit des gens du peuple.
Le nom même des « Accords d’Abraham » est trompeur et masque la nature coloniale de l’occupation de la Palestine par Israël. En présentant le conflit comme un conflit religieux entre les « religions abrahamiques », Israël efface les droits politiques des Palestiniens ; l’occupation est dissimulée derrière la notion que la résolution du conflit est une question de compréhension interconfessionnelle.
La réalité est que les ennemis de la démocratie et des droits de l’homme dans le monde arabe sont en train de se réaligner dans une coalition qui piétine les droits des Palestiniens.
Ce faisant, ils détruisent l’avenir des Palestiniens en retirant leur soutien au sein du monde arabe. Ce processus sape le lien culturel entre la Palestine et le contexte géographique et historique plus large. Les Palestiniens se sentaient déjà comme des orphelins, mais la nouvelle normalisation ne fait qu’ajouter à leur sentiment d’abandon par les grands « frères arabes ».
Les discussions en cours avec encore plus de pays arabes qui se préparent à annoncer une normalisation avec Israël est encore plus dommageable et déroutante pour la Palestine. L’expérience palestinienne présente certains parallèles avec une femme subissant une agression sexuelle collective : le fait que le crime soit commis sous l’abri protecteur du groupe rend l’expérience encore plus dommageable psychologiquement.
Néanmoins, laissons Israël porter un toast à ses nouveaux amis parmi les dictateurs arabes et profiter des bénédictions de la Ligue arabe en sachant que ces « représentants » ne représentent en fait personne, et encore moins le peuple arabe. Les masses, en fait, restent loyales à la Palestine, mais sont exploitées par leurs régimes qui sont prêts à les trahir, elles et la Palestine, en échange du soutien politique et militaire d’Israël et des États-Unis.
En fin de compte, Israël devra encore traiter avec les Palestiniens qui résistent à l’occupation à la barrière frontalière de fait qui entoure la bande de Gaza, au camp de réfugiés de Dheisheh en Cisjordanie occupée, parmi les habitants d’Eisaweyeh, et avec d’autres qui restent invaincus psychologiquement. Ces personnes et ces lieux rappelleront aux Israéliens leur travail inachevé face aux Palestiniens, malgré les décennies d’exploitation de la population et de la terre.
Les Palestiniens se battent pour leurs droits nationaux et humains depuis des générations et continueront à le faire.
Dans une lutte qui prend maintenant la forme d’une invasion du monde arabe soutenue par les États-Unis et l’Europe mais dirigée par Israël, la Palestine reste en première ligne dans la lutte pour la justice.
* Le Dr Samah Jabr est une psychiatre qui exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l’Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts – Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
24 septembre 2020 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah