Qu’avait en tête le Hamas ?
L’attaque du 7 octobre a été le point culminant d’un changement de stratégie pour défier l’endiguement du mouvement
22 novembre- 2023
De Tareq Baconi
L’attaque du Hamas du 7 octobre sur Israël a été le début d’une chaîne d’événements imprévisibles et il est trop tôt pour déterminer comment cette attaque pourrait configurer le cours futur de la lutte pour la libération de la Palestine. L’immense destruction de la bande de Gaza et la perte horrible de vies civiles sont un coup douloureux pour les Palestiniens rappelant la Nakba de 1948. Mais, simultanément, l’illusion que la question palestinienne peut être balayée tandis que persiste l’apartheid israélien, a éclaté et la Palestine est de retour tout en haut de l’agenda mondial – avec la reconnaissance grandissante qu’elle doit être prise en considération, même si la brutalité des massacres du 7 octobre a polarisé le débat.
Depuis 2007, la présence du Hamas dans les territoires occupés a été restreinte à la bande de Gaza, où le mouvement a effectivement été endigué au moyen d’un blocus hermétique qui a emprisonné les 2,3 millions de Palestiniens de Gaza. Dans son enfermement, le Hamas a été coincé dans ce que j’ai appelé un « équilibre violent », par lequel la force militaire a émergé comme moyen de négocier des concessions entre le Hamas et Israël. Le premier utilise des missiles et d’autres tactiques pour forcer Israël à alléger les restrictions imposées par le blocus, tandis que le second répond par un déploiement de force énorme à titre de dissuasion et pour assurer « le calme » dans les zones autour de la bande de Gaza. Grâce à cette violence, les deux entités ont opéré dans un cadre permettant au Hamas de conserver son rôle d’autorité dirigeante à Gaza, même dans le cadre d’un blocus qui exerce une violence structurelle quotidienne sur les Palestiniens.
À partir de 2018, le Hamas a commencé à expérimenter différents moyens de changer cet équilibre. L’un d’eux passait par sa décision de permettre que des manifestations populaires contre la domination israélienne aient lieu. La Grande Marche du Retour de 2018 a été un des exemples les plus parlants de la mobilisation populaire palestinienne. La manifestation est apparue comme une action de la société civile permise, soutenue et finalement organisée par un comité comprenant les dives partis politiques de Gaza, dont le Hamas. En tant qu’autorité de gouvernement, le Hamas a fourni l’essentiel de l’infrastructure nécessaire à la mobilisation, tels des bus pour transporter les militants. Ce fut une rupture saisissante avec les moyens par lesquels le Hamas avait l’habitude de remettre en cause le blocus.
Un autre changement dans cet équilibre est intervenu quelques années plus tard, en 2021, lorsque le Hamas a optimisé son arsenal militaire pour répliquer à l’agression d’Israël à Jérusalem. Les tirs de roquettes du Hamas, avaient notamment été suscités par l’action d’Israël consistant à expulser des familles du quartier de Sheikh Jarrah de leurs maisons pour faire place à des colons juifs. Cela a déclenché une large mobilisation palestinienne dans toute la Palestine historique. L’État d’Israël répondit par la force et par de multiples arrestations contre des protestataires pacifiques, dont certains priaient aux abords de la mosquée d’Al-Aqsa. Les efforts israéliens pour désorganiser les manifestations et en profiter pour pousser plus loin la colonisation de Jérusalem-Est ont incité le Hamas à répondre par des tirs de roquettes.
Ces exemples montrent les efforts du Hamas pour aller à l’offensive et étendre sa résistance en y incluant des revendications allant au-delà de la levée du siège de la bande de Gaza. Sous-jacent à ces tactiques, il y avait clairement un changement stratégique du mouvement pour évoluer de l’acceptation de son endiguement vers une contestation plus explicite de la domination israélienne – et, par-là, pour renverser l’équilibre qui s’était enraciné au cours des 16 ans (de blocus).
Ce changement est conforme à l’évolution historique du Hamas comme mouvement qui s’est appuyé à la fois sur la résistance armée et non armée, avec des flux et des reflux, pour se confronter à l’occupation israélienne et à prôner revendications centrales de la lutte palestinienne, dont le droit au retour, qui était au cœur des manifestations de 2018. (L’histoire du Hamas regorge d’exemples dans lesquels il a observé le contexte politique de son environnement et, au niveau de la direction du mouvement, a altéré l’orientation stratégique de l’organisation, avec des instructions claires à l’aile militaire pour l’escalade ou la désescalade).
Le changement récent vers la violence totale est aussi conforme à la compréhension de la part du mouvement du rôle de la résistance armée comme tactique de négociation – sur laquelle le mouvement a historiquement compté pour obliger Israël à des concessions.
L’attaque du 7 octobre peut être vue comme l’étape suivante, en toute logique, d’un mouvement qui se heurte à son endiguement. Certains analystes ont qualifié de suicidaire le geste du Hamas au vu de la réaction israélienne, ou irresponsable étant donné le nombre de morts auquel il a conduit parmi les Palestiniens. Que l’un ou l’autre de ces qualificatifs soit correct dépend d’une analyse des options dont le Hamas dispose et de la manière dont l’effervescence retombera. Il n’y a pas de doute, cependant, que l’attaque en elle-même a marqué une rupture décisive – qui est, rétrospectivement, le point clairement culminant de tous les changements que le mouvement a expérimentés.
Le changement stratégique impliquait de passer de l’usage limité de tirs de roquettes pour négocier avec Israël à une offensive militaire de pleine puissance visant spécifiquement à démanteler son endiguement et l’affirmation israélienne selon laquelle Israël pourrait maintenir impunément un système d’apartheid.
Il y a peu de doute que l’attaque sanglante du 7 octobre ait dépassé les attentes du Hamas et que l’ampleur des massacres en Israël ait galvanisé l’opinion israélienne et internationale à un point que le Hamas peut ne pas avoir complètement anticipé. Toute opération militaire significative menée par le Hamas avec un certain niveau de succès – bases militaires proches de la barrière Israël-Gaza visées en assurant qu’il y ait un nombre significatif de combattants israéliens – aurait de la même façon fait éclater le paradigme du blocus et suscité une réponse israélienne dévastatrice.
Mais le meurtre de civils à cette échelle – que la direction du Hamas ait ou non poussé à et préparé ce niveau de bain de sang – a galvanisé une réponse israélienne féroce à Gaza, permise par la carte blanche garantie au gouvernement israélien par la plupart des dirigeants occidentaux. Certains spécialistes du génocide ont argumenté que la campagne d’Israël s’apparente à du nettoyage ethnique et tente de commettre un génocide.
Discuter de la possibilité que cette réponse ait eu lieu si aucun civil n’avait été tué ou kidnappé irait à contre-courant de la réalité. De toute façon, l’offensive militaire du Hamas et la violence de masse qui a suivi ont irréversiblement configuré la réponse contre les Palestiniens de Gaza.
D’un point de vue strictement limité à la stratégie militaire, avant l’attaque, la seule option en dehors de l’usage de la force à la disposition du Hamas était de rester étouffé dans le cadre du blocus, tandis que les colons israéliens étendaient leur violence rampante en Cisjordanie, que les politiciens israéliens brisaient le statu quo autour du complexe Haram al-Sharif/Mont du Temple de Jérusalem et qu’Israël était récompensé par le programme états-unien d’exemption de visas et par des accords régionaux de normalisation.
Dans ce contexte, les options qu’avait le Hamas étaient d’accepter l’affirmation selon laquelle les Palestiniens avaient effectivement été vaincus et de rester confinés et étranglés dans leurs divers bantoustans – des parcelles de terre non contiguës ressemblant aux « homelands » de l’ère de l’apartheid sud-africain, où de nombreux habitants noirs des villes, privés de droits, étaient relogés et gouvernés par des régimes fantoches supposés indépendants tandis qu’un gouvernement suprémaciste blanc continuait à exercer un contrôle militaire.
Le choix, tel que le voyait le Hamas était entre mourir lentement – comme le disent de nombreux Gazaouis – et chambouler fondamentalement toute l’équation.
Il est certain qu’acculer le Hamas – et plus largement les Palestiniens – à une situation où seule une attaque militaire puissante de ce type apparaît comme l’option préférée du mouvement, aurait pu être évité. Même avant l’endiguement du Hamas et en particulier depuis la deuxième Intifada, de nombreuses opportunités se sont présentées pour s’engager avec lui dans des démarches diplomatiques et politiques.
Le Hamas a, de fait, accepté, entre 2005 et 2007, un programme politique qui aurait pu, s’il avait été correctement mis à profit, conduire à la création d’un État palestinien à côté d’Israël et au démantèlement de l’occupation. C’était une position que le mouvement a promue, comme élément de sa victoire aux élections de 2006 et à l’intégration qui a suivi dans l’Autorité Palestinienne. Plus tard, cette position a été formalisée en 2017 dans la charte amendée du mouvement qui a appelé à la création d’un État palestinien sur les lignes de 1967, sans apporter de reconnaissance formelle de l’État d’Israël.
Le refus israélien et américain de s’engager dans des discussions sur aucune des concessions politiques du mouvement depuis ce moment-là, pendant qu’Israël avait toute latitude pour maintenir sa violente occupation et la poursuite de la colonisation de la terre de Palestine, a affaibli toute confiance que le Hamas pouvait avoir en l’intérêt de la communauté internationale à faire rendre compte à Israël ou à donner la possibilité aux Palestiniens d’établir un État sur une portion de la Palestine historique.
Beaucoup a été écrit sur les occasions perdues de traiter avec le Hamas sur le plan diplomatique. Les événements qui ont suivi les élections démocratiques donnant la victoire au mouvement en 2006 étaient fondés sur un refus de discuter de la plateforme politique du Hamas, Israël et le gouvernement étatsunien préférant rechercher un changement de régime et traiter militairement avec le Hamas, choisissant de limiter leur engagement sur le dossier palestinien avec l’AP.
Depuis lors, Israël a soutenu et permis au Hamas d’exister en tant qu’autorité gouvernementale, tout en diabolisant le mouvement en tant qu’organisation terroriste, un paradoxe qui a permis à l’État de justifier la punition collective inhérente au blocus de la bande de Gaza. C’est la stratégie choisie explicitement par les gouvernements successifs de Benjamin Netanyahu, qui a ouvertement parlé des avantages pour Israël de poursuivre une “politique de séparation” entre la Cisjordanie et la bande de Gaza afin de saper les perspectives de création d’un État palestinien.
En l’absence de réelles perspectives diplomatiques pour le Hamas, les choix qui s’offraient à lui étaient soit un lent étranglement en tant qu’autorité gouvernante de la bande de Gaza, tandis qu’Israël s’acoquinait avec des régimes arabes qui avaient pratiquement abandonné la cause palestinienne, soit un coup décisif susceptible de remettre fondamentalement en cause l’hypothèse selon laquelle les Palestiniens étaient vaincus et soumis et qu’Israël pouvait maintenir sans frais son régime d’apartheid.
Le fait que le Hamas ait opté pour cette dernière solution suggère qu’il se comporte de manière stratégique et qu’il reste convaincu qu’il joue un jeu à long terme. Selon cette logique, même si l’aile militaire du Hamas était entièrement détruite ou expulsée, le mouvement a déjà remporté une victoire en révélant la faiblesse et la fragilité de l’armée israélienne, qui pourra être exploitée à l’avenir par un Hamas reconstitué ou par une autre formation militaire future tout aussi attachée à la résistance armée comme moyen de libération. En d’autres termes, la rupture elle-même devient un espace permettant l’émergence d’autres possibilités, alors qu’avant cela, il n’y avait que la certitude calcifiée d’une oppression permanente des Palestiniens.
Cette croyance en un jeu à long terme signifie que, indépendamment de ce qui se passe dans un avenir à court ou moyen terme, même avec la perte horrible de vies civiles à Gaza, le Hamas a perturbé non seulement la structure de son confinement, mais aussi l’idée que les Palestiniens peuvent être enfermés dans des bantoustans et oubliés sans que les Israéliens n’aient à en supporter le moindre coût. Cette perturbation est existentielle pour Israël et, soutenu par ses alliés occidentaux, l’État estime que le seul moyen de survivre à ce coup est de décimer le Hamas.
Israël échouera – et échoue déjà – à atteindre cet objectif. Quelle que soit l’issue des batailles contre le Hamas à Gaza, le mouvement peut déjà se targuer d’être sorti victorieux à long terme, car il a brisé de manière irréversible le faux sentiment de sécurité dans lequel les Israéliens s’étaient enfermés, malgré toutes les tentatives visant à présenter Israël comme invincible et impénétrable.
Mais même dans la bataille immédiate qui se déroule actuellement à Gaza, les perspectives d’une victoire israélienne sont minces. Comme dans toute lutte asymétrique, il suffit que les combattants de la guérilla ne perdent pas pour sortir victorieux, alors que l’État puissant perdra s’il n’atteint pas ses objectifs primordiaux. Et l’objectif de décimer le Hamas en tant que mouvement est aussi vague qu’irréalisable. D’une part, le mouvement est bien plus grand que son aile militaire. Il s’agit d’un mouvement doté d’une vaste infrastructure sociale, reliée à de nombreux Palestiniens qui ne sont affiliés ni à la plateforme politique ni à la plateforme militaire du mouvement.
Au fond, le Hamas est un mouvement islamiste qui trouve ses racines dans les branches régionales des Frères musulmans. Il est lié à des infrastructures de soins de santé, à des établissements d’enseignement et à des organisations caritatives. Si, en décimant le Hamas, les dirigeants occidentaux et israéliens appellent au meurtre de tout Palestinien adhérant à une quelconque forme d’idéologie islamiste, il s’agit ni plus ni moins d’un appel au génocide contre le peuple palestinien, et cela doit être compris comme tel.
Toutefois, si l’objectif est de détruire l’infrastructure militaire du mouvement, il est probable qu’il échouera sur un point essentiel. L’éclatement de l’aile militaire du Hamas ouvrira la voie à l’émergence d’autres formes de résistance organisée – qu’elles s’inscrivent dans le cadre idéologique du Hamas ou non – qui s’engagent de la même manière à recourir à la force armée contre Israël.
L’histoire nous l’a déjà appris. Le Hamas a émergé en 1987 sur les braises de la concession historique de l’OLP, qui, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, a évolué vers une concession sur le partage de la Palestine en reconnaissant l’État d’Israël et en renonçant au recours à la résistance armée pour la création d’un État palestinien. Cette transition a coïncidé avec la création du Hamas, un parti qui s’en tenait aux mêmes principes que l’OLP, mais avec une idéologie islamiste au lieu de l’idéologie nationaliste laïque qui avait dominé les années 1960 et 1970.
Il existe un continuum de revendications politiques palestiniennes qui remontent à 1948 et avant. Que le Hamas survive ou non dans son incarnation actuelle est une fausse piste : La résistance palestinienne contre l’apartheid israélien, armée ou non, persistera tant que le régime de domination durera.
Au fond, il s’agit d’un régime qui accorde plus de droits aux Juifs qu’aux Palestiniens sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique, en stratifiant les Palestiniens en différentes catégories juridiques et en les fragmentant géographiquement afin de maintenir un régime de domination global. Tout en empêchant le droit internationalement reconnu de permettre aux réfugiés palestiniens de rentrer chez eux.
Le modèle israélien d’apartheid s’attache à la suprématie juive du fleuve à la mer – une expression récemment calomniée qui a longtemps été utilisée sans complexe par la droite israélienne – tandis que les Palestiniens restent un peuple dominé vivant dans les limites de cet État et gouverné dans les territoires occupés par des autorités illégitimes qui collaborent par nature avec l’État israélien.
Pour renverser cette dynamique et défaire la conviction d’Israël que le Hamas – par son endiguement – pourrait être pacifié comme l’AP l’avait été en Cisjordanie, le mouvement a pris un risque calculé avec son opération, étant donné qu’il s’attendait de manière réaliste à ce que son infrastructure militaire soit gravement affaiblie par les représailles prévues. Mais en l’absence de toute volonté de la part de la communauté internationale de s’engager avec les Palestiniens en dehors de ces tactiques armées, et compte tenu du colonialisme permanent et de plus en plus violent d’Israël, cette évolution vers une opération militaire de grande envergure de la part du Hamas était en fin de compte inévitable.
Une autre raison sous-tend le calcul du Hamas, à savoir son ambivalence à l’égard de la gouvernance. Le Hamas a été entravé par son rôle d’autorité gouvernante dans la bande de Gaza. Lorsque le parti s’est présenté aux élections de 2006, c’est avec un degré non négligeable de conflit organisationnel sur le fait d’assumer un rôle de gouvernance ou même de participer à l’Autorité Palestinienne.
Les dirigeants du Hamas ont expliqué qu’au lieu d’accepter les limites de la gouvernance sous l’occupation, comme l’avait fait le Fatah avec les accords d’Oslo, le mouvement avait l’intention d’utiliser sa victoire électorale pour révolutionner l’establishment politique palestinien. Il a affirmé sa capacité à le faire en notant que, par sa réponse à la seconde Intifada, Israël avait décimé le corps politique palestinien et rendu l’AP et les accords d’Oslo obsolètes.
Le Hamas a parlé de la nécessité de construire une société de résistance, une économie de résistance, une idéologie de résistance, à travers le corps même de l’AP – et d’utiliser cet organe comme un tremplin vers l’OLP, d’où il pourrait prendre la tête, avec d’autres factions politiques, de la définition d’une vision pour la libération de la Palestine, et pour représenter les Palestiniens dans leur intégralité, au-delà de ceux des territoires occupés.
Sa victoire électorale, comme je l’affirme dans mon livre, Hamas Contained, était censée être une révolution vers le statu quo, plutôt qu’une acceptation de celui-ci. En l’absence de perspectives réelles de création d’un État, le Hamas a compris que se concentrer sur la gouvernance et l’administration signifiait embellir un bantoustan au sein du système d’apartheid israélien, qu’il n’y aurait aucune perspective réelle de libération ou de souveraineté, et que la seule voie à suivre était d’améliorer la qualité de vie tout en restant soumis à l’occupation. C’est en effet le modèle de l’AP en Cisjordanie, et il en aurait été une version plus extrême dans la bande de Gaza.
Avec la réussite du coup d’État soutenu par l’Occident contre le Hamas – qui a commencé peu après la victoire électorale du Hamas et a culminé dans une guerre civile entre le Hamas et le Fatah en 2007 – il a semblé pendant un certain temps que la gouvernance du mouvement à Gaza l’avait pacifié au point que ses idéaux révolutionnaires avaient été perdus. La longue période d’endiguement a suggéré que le mouvement s’était laissé piéger par son propre succès électoral et enchaîner par ses responsabilités de gouvernance – ou, en d’autres termes, qu’il s’était pacifié. La violente attaque du 7 octobre a clairement montré que le mouvement avait au contraire utilisé ce temps précisément pour révolutionner le corps politique, comme il avait toujours eu l’intention de le faire.
Tout cela ne signifie pas pour autant que le changement stratégique du Hamas sera considéré comme une réussite à long terme. La perturbation violente du statu quo par le Hamas pourrait bien avoir fourni à Israël l’occasion de perpétrer une nouvelle Nakba. Cela pourrait entraîner une conflagration régionale ou porter aux Palestiniens un coup dont ils mettraient une génération à se remettre.
Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il n’y aura pas de retour à la situation antérieure. Or, c’est précisément ce à quoi se préparent les dirigeants et diplomates israéliens, américains et occidentaux. D’ores et déjà, les discussions portent sur le jour d’après, même si aucun cessez-le-feu n’a été formalisé.
Tout indique que les États-Unis et Israël ont décidé d’essayer de reproduire dans la bande de Gaza le modèle réussi – selon eux – de collaboration palestinienne qui existe en Cisjordanie. Plutôt que de s’engager dans un processus permettant aux Palestiniens de choisir des dirigeants représentatifs susceptibles de les gouverner, Israël et les États-Unis rejouent une approche séculaire consistant à choisir des dirigeants dociles capables d’exécuter leurs ordres et de soumettre les Palestiniens à l’hégémonie israélienne.
Outre les implications morales et juridiques, il y a les implications pratiques. Il est difficile d’imaginer un dirigeant palestinien ou une structure de gouvernement qui assumerait la responsabilité de la bande de Gaza après sa destruction par Israël, car ils seraient perçus comme ayant été amenés là à dos de chars israéliens. Ces dirigeants auront encore moins de légitimité que l’AP en Cisjordanie aujourd’hui, ce qui est difficile à imaginer.
Une telle approche pourrait permettre de gagner du temps. Elle pourrait produire un semblant de statu quo et un certain degré de stabilisation. Mais si une leçon doit être tirée du 7 octobre, c’est qu’elle ne sera ni durable ni soutenable. Quelle que soit l’entité gouvernante choisie, elle ne sera pas en mesure de garantir la sécurité des Israéliens tant que l’apartheid existera et tout gouvernement palestinien installé à Gaza sera à juste titre considéré comme illégitime et collaborationniste.
Quelle que soit la manière dont le “jour d’après” est présenté, il échouera s’il ne s’accompagne pas d’une responsabilisation d’Israël et du démantèlement de son régime d’apartheid, et il sera clair pour tous les Palestiniens qu’il ne s’agit que d’une autre solution de bantoustan, déguisée soit en humanitarisme, soit en un engagement renouvelé en faveur d’une solution à deux États.
En ce sens, le Hamas a effectivement porté un coup fatal à l’idée qu’Israël pouvait poursuivre indéfiniment son occupation et son blocus. Il n’est toutefois pas encore certain que les dirigeants politiques israéliens – au-delà de leur violence vengeresse – aient réussi à tirer cette leçon. Mais les organisateurs locaux, les alliés du Hamas et d’autres formations politiques et militaires l’ont fait.
Quoi qu’il arrive, quel que soit l’héritage du Hamas, il est clair que c’est le mouvement qui a fait éclater l’illusion à laquelle Israël et ses alliés se sont accrochés pendant bien trop longtemps.
Tareq Baconi préside le comité de direction d’Al-Shabaka: The Palestinian Policy Network et est l’auteur de Hamas Contained: The Rise and Pacification of Palestinian Resistance.
Traduction SF et J-P.B pour BDS France Montpellier