Par Chloé Benoist
Le 18 décembre 2022, Salah Hammouri a atterri à l’aéroport Charles de Gaulle près de Paris, accueilli par sa femme, ses amis et tous ses soutiens. Mais l’occasion était triste. Après une longue lutte pour rester dans sa ville natale de Jérusalem, cet avocat franco-palestinien de 37 ans a été expulsé pour un prétendu manquement à la « loyauté envers le régime israélien ».
« Je pense que la France n’a pas fait assez pour essayer d’arrêter cette décision », a déclaré Hammouri à Palestine Square près d’un mois après son expulsion. « La France avait de nombreux moyens de pression… mais le gouvernement français, une fois de plus, a décidé de traiter Israël comme un État au-dessus du droit international. »
Le dernier développement dans l’affaire Hammouri n’est pas seulement le point culminant d’une campagne de plus de vingt ans contre un seul homme et une illustration de tout ce qu’Israël est prêt à faire pour étouffer les voix palestiniennes et leur droit à l’autodétermination, mais aussi un exemple flagrant de l’indifférence des pays occidentaux face aux violations commises par l’occupation.
Un fait qui reste difficile à dissocier du refus de ces pays de faire face à la charge de leur propre passé colonial.
Des décennies de pressions croissantes
Né à Jérusalem d’une mère française et d’un père palestinien, Salah Hammouri a été arrêté pour la première fois par Israël à l’âge de 16 ans et a passé cinq mois en prison pour avoir distribué des tracts politiques.
En 2005, Hammouri, alors âgé de 19 ans, a été de nouveau emprisonné, cette fois sous le coup de la détention administrative – une politique israélienne d’incarcération sans inculpation ni procès, largement dénoncée et utilisée presque exclusivement contre les Palestiniens.
Après trois ans d’emprisonnement, il a été accusé d’avoir participé à un complot visant à assassiner Ovadia Yosef, le fondateur du parti ultra-orthodoxe Shas. Bien qu’il ait toujours nié toute implication dans ce complot présumé, Hammouri a accepté un « accord de plaidoyer » en 2008 pour éviter l’alternative qui lui était proposée : le bannissement de la Palestine pendant 15 ans.
Alors qu’il ne lui restait que quelques mois sur sa peine de sept ans de prison, il a été libéré en 2011 dans le cadre de l’échange de prisonniers Shalit – mais comme d’innombrables autres Palestiniens libérés dans le cadre de l’accord, ses malheurs ne se sont pas arrêtés là.
De 2015 à 2016, Hammouri a reçu trois interdictions consécutives de six mois d’entrer en Cisjordanie occupée, une tentative à peine déguisée d’entraver la poursuite de ses études de droit à l’université Al-Quds.
Début 2016, sa femme Elsa Lefort – alors enceinte de six mois – a été arrêtée à l’aéroport Ben Gourion et interdite d’entrée en Palestine occupée pendant dix ans, au motif qu’elle représentait un « danger » pour la sécurité d’Israël.
Ce coup tordu a eu deux conséquences majeures : empêcher la naissance de l’enfant du couple à Jérusalem, seul moyen pour un Palestinien d’obtenir une carte de résident de Jérusalem et de vivre dans la ville légalement selon la loi israélienne, et pousser Hammouri à choisir entre sa patrie et sa famille en France.
Hammouri a refusé de céder et est resté en Palestine bien qu’il ait été arraché à sa famille. Puis Israël a commencé à intensifier sa pression. Le téléphone de Salah a été piraté avec le logiciel espion Pegasus, et il a été placé en détention administrative pendant plus d’un an entre 2017 et 2018.
Puis Hammouri a été détenu pendant huit jours en 2020. Sa carte de résidence à Jérusalem a été révoquée en octobre 2021, conformément à une loi de 2018 autorisant la révocation des résidences des Palestiniens présumés avoir « manqué de loyauté » envers le régime israélien.
Peu de temps après, il a été violemment arrêté en mars 2022 et à nouveau détenu sans charge ni procès jusqu’à son expulsion en décembre.
Après des années de ce que la Fédération internationale des droits de l’homme a qualifié de campagne de « harcèlement judiciaire », Hammouri est à nouveau puni sous le couvert absurde du manquement à la loyauté.
Mais que signifie la loyauté envers l’ « État » lorsque celui-ci considère votre existence comme incompatible avec la sienne ? Le crime de Hammouri, aux yeux du régime israélien, est sa quête pour rester dans sa patrie, une quête non seulement pour ses propres droits en tant qu’individu, mais aussi en tant que défenseur des droits de ses compatriotes palestiniens.
En parlant de sa propre expérience, Hammouri expose la politique israélienne de déplacement forcé des Palestiniens, mise en œuvre depuis l’époque de la Nakba de 1948.
La situation d’Hammouri est loin d’être isolée, puisqu’Israël a révoqué les résidences de près de 15 000 Palestiniens de Jérusalem entre 1967 et 2016.
Cependant, les mécanismes exploités contre les Hammouri et leur famille en raison de leur statut de citoyens français sont peut-être moins connus. Israël a une longue histoire d’utilisation des familles comme leviers, notamment les conjoints étrangers, qui ont notoirement été ciblés au fil des ans avec des exigences draconiennes en matière de visa dans le but de pousser leurs familles à quitter la Palestine afin de rester ensemble.
Poltronnerie française
Le gouvernement français a condamné l’expulsion d’Hammouri comme étant contraire à la loi et s’est prétendu « pleinement mobilisé » depuis sa dernière arrestation pour s’assurer que ses droits – tels que garantis par la Quatrième Convention de Genève – soient respectés.
Mais quelle confiance peut-on accorder à ces paroles alors que le président Emmanuel Macron a félicité Benjamin Netanyahu en novembre dernier pour sa récente victoire électorale et s’est engagé à « renforcer les liens déjà forts » entre Paris et Tel Aviv ?
Avec le nouveau gouvernement de Netanyahu qualifié de « le plus à droite de l’histoire d’Israël » – une affirmation qui donne le vertige étant donné l’oppression incessante des Palestiniens par tous les gouvernements israéliens successifs depuis 1948 – les actions de Macron montrent, une fois de plus, l’hypocrisie du soi-disant pays des droits de l’homme.
« Je crois que la France a décidé de ne pas jouer un rôle dans la cause palestinienne », a déclaré Hammouri à Palestine Square.
« Je ne pense pas qu’elle aura un rôle à jouer tant qu’elle ne changera pas de politique… l’occupation, les droits du peuple palestinien, ce sont des questions essentielles auxquelles la France doit répondre. On ne peut pas avoir un rôle efficace sans prendre une position claire. Je ne pense pas que le peuple palestinien compte sur la diplomatie française pour faire évoluer les choses sur le terrain. »
Tout comme la réponse des plus tièdes de la part des États-Unis au meurtre de la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh en mai, les faibles protestations de la France concernant le traitement de l’un de ses propres ressortissants sont un signal de plus envoyé au gouvernement israélien pour lui signifier qu’il peut poursuivre impunément ses projets de nettoyage ethnique à l’encontre des habitants autochtones.
En ce sens, le cas de Hammouri n’est pas seulement l’un des derniers exemples des initiatives d’Israël pour s’assurer que les Palestiniens se taisent, partent ou meurent, mais c’est aussi une mise en accusation du statut persistant de seconde classe des personnes d’origine étrangère dans la société française (selon la propre évaluation de Hammouri, un « citoyen de quatrième ou cinquième classe »).
Hammouri a raconté à Palestine Square qu’à la mi-janvier et depuis son arrivée dans le pays, il n’avait été contacté par personne du gouvernement français :« Ce n’est pas le traitement [que l’on applique à ]un citoyen français », a-t-il dit.
Le refus de longue date de la France d’assumer son passé colonial et son racisme permanent à l’égard de ses citoyens arabes et noirs non seulement frise le délire, mais impacte aussi directement les personnes que le pays juge dignes ou non de protéger.
Les politiques internes de la France indiquent clairement quels États auront tous les droits lorsqu’ils violent des droits de l’homme les plus élémentaires.
Alors qu’Israël pourrait croire qu’il a eu le dernier mot, Hammouri n’abandonne pas le combat. « Mon objectif est de retourner en Palestine, et je ferai tout pour cela », a-t-il déclaré, y compris peut-être en plaidant sa cause devant la Cour pénale internationale.
« Je suis peut-être loin de la Palestine, mais je porte toujours la Palestine avec moi, et mon combat continuera depuis la France ; c’est clair », a-t-il ajouté – et avec ou sans le soutien de la France.
Auteur : Chloé Benoist
* Chloé Benoist est une journaliste, éditrice, traductrice française ayant vécu au Liban de 2011 à 2016. Elle écrit sur le Moyen-Orient depuis 2011, avec un intérêt particulier pour la Palestine et le Liban. Elle vit et travaille actuellement en Cisjordanie occupée où elle couvre l’actualité politique. Elle écrit aussi sur des sujets économiques, sociaux et culturels.
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7 février 2023 – Etudes Palestiniennes – Traduction : Chronique de Palestine