Bashar Murkus est une figure majeure de la création théâtrale palestinienne. Ses productions ont déjà été programmées en Europe1. Il est l’un des auteurs de théâtre palestinien les plus programmés sur les scènes internationales. Son absence des scènes françaises, dans un contexte où la création théâtrale en arabe suscite un intérêt croissant, particulièrement depuis une décennie2 peut en partie s’expliquer par la difficulté des propositions théâtrales palestiniennes à sortir des réseaux militants3 qui s’attachent avant tout à la diffusion la culture palestinienne pour sa reconnaissance plus que pour ses qualités esthétiques et poétiques.
Les représentations du Musée à Avignon inaugurent une série de dates pour cette pièce en France (Montpellier) et pour Hash (Vitry, Bastia, Paris), une autre production de Bashar Murkus. Cela contribuera peut-être à changer la place de la création palestinienne sur les scènes et au sein des institutions théâtrales françaises. C’est aussi ce que Le Musée revendique : l’émancipation des Palestiniens et particulièrement des artistes palestiniens des images qui leur sont imposées et qui les enferment encore dans une condition produite par un imaginaire étranger.
Le Musée met en scène deux personnages, celui d’un inspecteur de police (incarné par Henry Andrawes), et celui d’un condamné à mort (interprété par Ramzi Maqdissi) pour avoir commis un attentat sept ans auparavant dans un musée, ayant fait cinquante victimes : un groupe d’élèves en sortie scolaire et leur enseignante. Dans le huis clos de la cellule de la prison, la pièce se déroule au cours des derniers moments de la vie du condamné, entre une semaine et quelques instants avant l’exécution de la peine capitale. L’espace et le temps sont limités par les murs de la prison et par la mort programmée du condamné. La dimension spatio-temporelle inscrit d’emblée la pièce dans un sentiment d’oppression. L’histoire de l’attentat commis dans un musée est très rapidement écartée par un dispositif qui se déploie tout au long de la représentation, impliquant aux côtés des deux acteurs sur le plateau le metteur en scène et le public. Dispositif global, il repose sur l’oppression et la manipulation, qui s’alimentent entre elles et sur plusieurs niveaux.
Sous l’œil de la caméra
La manipulation et l’oppression sont matérialisées dans le texte et sur la scène par la caméra. Dès le début, elle est évoquée comme l’objet qui a permis à l’inspecteur de police de mener l’enquête. La caméra de surveillance installée au musée a permis de mettre au jour la vérité de l’acte criminel et de procéder à l’arrestation du meurtrier sept ans auparavant. Elle représente la vérité et la loi. Mais alors que le spectacle évolue, une caméra sur scène est manipulée par l’inspecteur de police, toujours au nom de la vérité qu’elle incarne. Il filme le visage et le corps du condamné sous différents angles et procède parfois à des zooms pour ne capter que quelques parties. Ces images sont projetées, quelquefois simultanément, à différents endroits du plateau et en fond de scène. La salle est séparée du plateau par un écran sur lequel sont projetées ces images. Le spectateur assiste alors, derrière leur projection en direct, à leur fabrication.
La fabrication des images et leur utilisation à des fins de manipulation font de la caméra un objet ambigu. D’objet au service de la justice, la caméra devient un outil d’oppression, une arme. Cette ambivalence est également supportée par la parole qui permet au condamné de se placer dans une position de force vis-à-vis de l’inspecteur :
L’inspecteur de police : Quelle est l’erreur que tu as commise ?
Le condamné : Si tu veux entendre une réponse, faut que t’apprennes à te taire.
L’inspecteur de police : Bien sûr, je veux une réponse.
Alors que la pièce évolue et que le moment de la mort du condamné approche, la domination qu’il exerce sur l’inspecteur ne cesse de prendre de l’importance. Une demi-heure avant son exécution, c’est lui qui mène un véritable interrogatoire sur la vie personnelle du policier. Il lui pose une longue série de questions sur sa femme (ses goûts, son métier, leur histoire et leur intimité) et sur son fils (son âge, son physique, son caractère et la nature de leur relation). Ces procédés d’inversement participent à une mise à l’épreuve du public, ébranlé dans ses propres croyances autour de concepts tels que la violence, la vérité, le pouvoir, l’oppression, la vie et la mort. La remise en question est telle que le terroriste apparaît comme une image christique (voir la photo d’illustration).