Un État pour tous : une vision féministe palestinienne
Une Palestinienne fait un signe de victoire tout en criant vers les forces israéliennes à la suite d’une manifestation contre l’expropriation d’une terre palestinienne le 19 juillet 2019 dans le village de Kfar Qaddum, près de la ville de Naplouse en Cisjordanie occupée. (Photo : Nedal Eshtayah / APA images)
Par Rifka Al-Amya
le 6 mai 2021
L’expérience d’autres peuples colonisés et opprimés nous montre que les femmes palestiniennes sont tout à fait capables d’imaginer une perspective plus juste pour notre avenir, avec pour but un seul État démocratique pour tous ses citoyens dans la Palestine historique.
L’artiste afro-américaine Nina Simone, également militante du Mouvement américain pour les Droits Civiques, a vécu le tournant le plus important de sa vie lorsque l’Institut Curtis de Musique a rejeté sa candidature à cause de sa couleur de peau.Simone a exprimé sa déception d’être privée de l’opportunité de devenir la première pianiste classique noire des États Unis. Cet incident raciste a eu un lourd impact sur la vie de Simone et l’a forcée à travailler dans des bars. Plus tard, elle a décidé d’écrire elle même les textes de ses chansons. Certaines de ces chansons sont devenues des icônes révolutionnaires en permettant aux personnes noires d’être fières d’être ce qu’elles étaient, en les unissant contre la suprématie blanche, en faisant grandir leur confiance en elles, et en les exhortant à mieux se connaître et à chérir leur négritude et leur culture.
Simone a vécu assez longtemps pour être témoin de la génération de nombreuses icônes du combat des Noir-e-s aux États Unis et à travers le monde. Quelque temps avant sa mort en 2003, elle a eu la surprise de recevoir un diplôme d’honneur de la part de la même institution qui l’avait rejetée dans le passé. Ceci nous oblige à faire une pause et à réfléchir à la structure raciste de l’esprit colonial : Que s’est-il passé exactement pour que l’Institut Curtis de Musique s’excuse pour son racisme envers Simone ? Pourquoi un pouvoir aussi raciste, jouissant de privilèges supérieurs, reconsidérerait-il sa position envers les droits de l’opprimé ? La réponse réside dans l’héritage de la résistance cumulée des Noirs.
Considérant les leçons apprises du combat des femmes noires au cours des années, nous, femmes palestiniennes de couleur, sommes arrivées à la conclusion qu’il était temps pour nous d’adhérer au féminisme intersectionnel avec sa lutte contre le monopole des théories sur le féminisme par les femmes de la petite bourgeoisie blanche. Le féminisme blanc de classe moyenne ne tient clairement aucun compte de la race, la classe et, très important, le colonialisme, que nous ne pouvons séparer du contexte de notre lutte socio-libératoire. Les féministes intersectionnelles reconnaissent que le patriarcat, le capitalisme, le racisme et le colonialisme sont tous des forces oppressives qui ont chacune des histoires différentes, mais un but commun de déshumanisation de « l’Autre ». Nour devons par conséquent démanteler radicalement la structure de toutes ces forces oppressives simultanément afin de parvenir à une justice exhaustive en totale harmonie avec elle-même.
En réfléchissant à l’expérience de Nina Simone et à celle d’autres femmes noires, des États Unis à l’Afrique du Sud et l’Amérique Latine, nous pouvons en conclure que nous avons besoin d’une perspective politique claire pour notre propre résistance palestinienne afin d’atteindre l’étape où les sionistes seront obligés de nous présenter des excuses historiques.
La question est, alors, comment démanteler cette idéologie raciste ? En d’autres termes, à quoi ressemble l’avenir que nous voulons ?
L’idéologie sioniste hégémonique dans l’Israël d’apartheid, qui s’est manifestée dans la suprématie juive, fonctionne dans le même esprit raciste que celui qui s’est manifesté en Amérique du Sud et dans l’apartheid sud-africain. La question est, alors, comment démanteler cette idéologie raciste ? En d’autres termes, à quoi ressemble l’avenir que nous voulons?
Le mouvement de libération palestinienne a traversé de nombreux défis. Après avoir initialement adopté le principe de libération totale de la Palestine historique, il est tombé dans le piège de l’acceptation de solutions dites provisoires qui l’ont, naturellement, conduit à compromettre nos droits fondamentaux avec les désastreux Accords d’Oslo et, plus tard, la mise en place d’une autorité palestinienne autonome, qui est née comme une tentative de la communauté internationale pour liquider notre cause et promouvoir la dite « solution à deux États ».
Cette solution injuste, par laquelle nous n’obtenons que 22 % de la Palestine historique, avait en fait été rejetée par le peuple palestinien en 1947 après l’annonce du plan de partition. Qui plus est, il ne prend pas en compte les droits des citoyens palestiniens dans l’Israël d’apartheid et ne tient aucun compte des souffrances des millions de réfugiés qui vivent dans des camps et dans la diaspora. En d’autres termes, la solution à deux États réduit le peuple palestinien à seulement ceux qui vivent dans les territoires de 1967, c’est-à-dire la Bande de Gaza et la Cisjordanie.
En plus, l’Israël d’apartheid a rendu la solution à deux États impossible en étendant en Cisjordanie les colonies illégales existantes, en imposant un siège sur la Bande de Gaza, et en annexant Jérusalem et en déclarant qu’elle est sa capitale éternelle, tout ceci créant des faits irréversibles sur le terrain. Par ailleurs, il disperse les Palestiniens et les confine dans des cantons isolés, chacun avec ses propres problèmes qui ne convergent pas avec ceux des autres.
La récente poussée de l’extrême droite aux États Unis, en Europe et en Israël et l’échec du Printemps Arabe ont conduit à une normalisation entre les gouvernements arabes et Israël conduite par l’administration Trump. Ceci a provoqué un retour en arrière pour la cause palestinienne et a fait de la libération de la Palestine une moindre priorité dans l’agenda des Arabes. Tous ces facteurs rendent la solution à deux États déjà injuste encore plus impossible, déconnectée de tous les sacrifices faits par le peuple palestinien.
Considérant l’expérience d’autres peuples colonisés et opprimés, nous apprenons que, nous, femmes palestiniennes, sommes capables d’imaginer un avenir plus juste.
Considérant l’expérience d’autres peuples colonisés et opprimés nous apprenons que nous, femmes palestiniennes, sommes capables d’imaginer un avenir plus juste, un avenir qui s’aligne sur nos principes fondés sur l’égalité pour tous. Quelle autre perspective pourrait surpasser celle de se battre pour un seul État démocratique pour tous ses citoyens dans la Palestine historique, quels que soient leur religion, leur race ou leur genre ?
C’est notre droit légitime à revenir à notre projet initial de libération et de nous battre pour la libération de toute la Palestine historique, du fleuve à la mer. De la même façon que le régime d’apartheid d’Afrique du Sud a été démantelé et que le peuple sud africain a élu Nelson Mandela comme premier président noir après qu’il ait passé 27 ans comme prisonnier politique, nous aspirons au démantèlement de l’apartheid israélien et à l’abandon des privilèges coloniaux des sionistes. On ne peut y parvenir sans le retour des réfugiés palestiniens dans leurs villes et villages d’origine, réparation pour leurs enfants et petits enfants, et la création d’une constitution civique et démocratique qui garantisse les droits culturels, sociaux et religieux de tous les citoyens de Palestine après répartition des richesses par un système juste qui garantisse la disparition irrévocable de l’apartheid et du colonialisme de peuplement.
Ce scénario peut paraître utopique, compte tenu du fait que notre perspective de libération a été déformée par l’idéologie d’exclusion de la solution à deux États. Cependant, la solution à un État démocratique est la seule réponse qui puisse garantir nos droits fondamentaux, y compris le droit au retour et le droit à l’auto-détermination. Nous pouvons arriver à cette solution grâce à une alliance entre Palestiniens et Israéliens anti-sionistes, qui soutiennent le droit au retour et sont prêts à abandonner leurs privilèges de descendants des colonisateurs afin de partager le combat pour un meilleur avenir pour nous tous. On peut aussi atteindre ce but avec le soutien de peuples qui, dans le monde, sont épris de liberté, de la société civile internationale, et en intensifiant la résistance populaire, avec le mouvement BDS conduit par les Palestiniens et dont le but est avant tout d’isoler l’Israël d’apartheid.
Avec tous ces moyens de résistance, non seulement nous serons capables de libérer le peuple palestinien de l’oppression coloniale, mais nous allons aussi libérer les oppresseurs colonisateurs dont la conscience collective ne sera pas, il est vrai, facile à pénétrer étant donné qu’ils ne vont pas abandonner de leur plein gré leurs privilèges de colonisateurs. Mais nous pouvons parvenir au rendez-vous de la victoire grâce aux efforts collectifs et à l’héritage palestinien de résistance, ainsi qu’avec une vision politique claire qui jouisse d’un large soutien populaire, et grâce aux leçons que nous avons apprises des autres mouvements de libération, au droit international et aux campagnes mondiales de solidarité avec les Palestiniens.
C’est le dernier espoir qui puisse garantir que des excuses soient présentées aux Nina Simone palestiniennes qui se battent pour la justice depuis plus de 72 ans maintenant.
Rifka al-Amya est une militante BDS de Gaza. Elle a écrit des articles en arabe sur la libération des femmes, en plus d’être membre de la campagne qui a pour but un seul État démocratique pour tous ses citoyens dans la Palestine historique.
Traduction : J. Ch. pour la Campagne BDS France Montpellier
Source : Mondoweiss