“Un système, une politique” : Pourquoi Human Rights Watch accuse Israël d’apartheid
Les forces de sécurité israéliennes montent la garde alors que des Juifs visitent le côté palestinien du marché de la vieille ville dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie, le 15 juin 2019. (Wisam Hashlamoun/Flash90)
Israël a fait connaître de façon claire et irréfutable son intention de rendre permanente la domination des Juifs sur les Palestiniens entre le fleuve et la mer, déclare Omar Shakir, de Human Rights Watch (HRW) dans un entretien accordé après un important rapport.
Par Amjad Iraqi
27 avril 2021
Au cours de l’année dernière, le mot “apartheid” est indéniablement devenu un élément central du débat public général concernant Israël et la Palestine— et aujourd’hui, ce terme naguère tabou a peut-être reçu une de ses confirmations les plus remarquables.
Human Rights Watch, organisation de premier plan qui surveille à l’échelle mondiale les violations des droits, a publié mardi [27 avril] un rapport important selon lequel Israël commet les crimes d’apartheid et de persécution — définis l’un et l’autre par le Statut de Rome comme des crimes contre l’humanité — des deux côtés de la Ligne Verte. Le rapport de 213 pages, accompagné de visuels coproduits avec Visualizing Palestine, recense en détail les méthodes utilisées par Israël pour perpétuer intentionnellement la domination des Juifs sur les Palestiniens dans toutes les parties du pays, ainsi que dans la diaspora, quel que soit leur statut juridique.
“Chaque jour”, souligne le rapport, “une personne naît à Gaza dans une prison à ciel ouvert, en Cisjordanie en l’absence de droits civils, en Israël avec un statut juridique inférieur, et dans les pays voisins avec de fait un statut de réfugié à vie, comme leurs parents et grands-parents avant eux, uniquement parce que ces personnes sont palestiniennes et non juives.” Parmi d’autres recommandations, le rapport appelle les États à conditionner l’assistance militaire fournie à Israël et à imposer des sanctions individuelles aux Israéliens de haut rang qui seraient responsables de ces crimes.
Aux yeux de HRW, ce rapport a une importance particulière car il “relie les points” entre les diverses politiques suivies par Israël et montre ainsi qu’elles sont impulsées par “un système, une politique et un projet” visant à assurer la domination permanente d’un groupe sur un autre, explique Omar Shakir, directeur Israël-Palestine de l’organisation, dans un entretien accordé à +972. Shakir, auteur principal du rapport, est actuellement basé à Amman après que le gouvernement israélien, avec l’accord de la Haute Cour, l’a expulsé en novembre 2019, alléguant qu’il soutenait le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).
Les conclusions accablantes du groupe à l’issue d’un processus qui a duré deux ans n’ont pas été faites à la légère, précise Shakir, car les éléments d’information étaient “si convaincants” qu’aucune description de la réalité sur le terrain comme plus ou moins “temporaire” ne pouvait tenir. Conscient que des groupes palestiniens et d’autres ont défendu les mêmes positions pendant des années, il espère que le travail de HRW contribuera à inciter la communauté internationale à reconnaître la gravité des crimes en cause et à “avoir le courage de combattre l’apartheid”.
Omar Shakir, directeur de Human Rights Watch Israël et Palestine, s’adresse à la presse avant son expulsion d’Israël, avec à ses côtés Kenneth Roth, directeur de HRW (à droite) et le juriste Michael Sfard (à gauche), 25 novembre 2019 (Oren Ziv/Activestills.org).
HRW vient de rejoindre une série de grands groupes de défense des droits humains — notamment les ONG israéliennes Yesh Din et B’Tselem — qui ont déclaré publiquement ces derniers mois qu’Israël pratique l’apartheid et met en œuvre un régime de suprématie juive. Ces groupes rejoignent un mouvement en pleine croissance, mené depuis des années par les Palestiniens et leurs alliés, qui s’efforce de briser les mythes généralement admis concernant l’occupation militaire d’Israël et de redéfinir la nature de l’oppression subie par les Palestiniens sur le terrain.
Le rapport de HRW suit de près d’autres publications très médiatisées qui ont dénoncé le fait qu’Israël commet le crime d’apartheid. Qu’est-ce qui a conduit tant de membres de la communauté des droits humains, notamment HRW, à prendre publiquement cette position au cours de l’année qui vient de s’écouler ? Pourquoi le “seuil” a-t-il été franchi aujourd’hui, mais pas auparavant ?
Human Rights Watch et d’autres groupes ont recueilli des éléments sur de graves atteintes aux droits commises depuis des décennies par les autorités israéliennes et palestiniennes. Mais un sentiment était de plus en plus partagé : certes nos rapports capturaient sur le terrain certains aspects de la situation, mais ils ne s’emparaient pas de la réalité fondamentale sous-jacente. Une réalité dans laquelle un gouvernement, le gouvernement israélien, exerce sa souveraineté sur la zone entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain ; où vivent deux groupes de taille à peu près égale et où, cependant, un groupe, les Israéliens juifs, bénéficie de privilèges systématiques, tandis que l’autre groupe, les Palestiniens, subissent une oppression dont l’intensité est variable.
Les débats [sur la question Israël-Palestine] au sein de la communauté internationale semblent souvent sous-tendus par des présupposés inconciliables avec la réalité dont nous sommes témoins tous les jours — par exemple, l’idée qu’une occupation qui dure depuis 54 ans serait temporaire, ou qu’un processus de paix qui dure depuis 30 ans pourrait mettre prochainement fin aux atteintes commises sur le terrain. Des groupes comme le nôtre n’ont pas fait un travail suffisant pour relier les points entre eux, pour comprendre ce qui se dissimule derrière ces politiques. Lorsque nous avons commencé à relier les points, au cours des deux dernières années, il a fallu que le tableau dressé soit complet.
Un Juif dans une maison habitée depuis peu par des familles juives dans le quartier palestinien de Silwan, à Jérusalem-Est, 8 avril 2021. (Yonatan Sindel/Flash90)
Notre mandat d’organisation de défense des droits humains est défini par le droit international, et la prohibition envers toute oppression discriminatoire grave, autrement dit l’apartheid, est un élément central du droit. Même si ce terme a été forgé en rapport avec l’Afrique du Sud, c’est un terme juridique universel, un crime contre l’humanité dont traite spécifiquement la Convention de 1973, ainsi que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (1998). Une fois que nous avons commencé à relier ces points et que nous avons examiné en profondeur le traitement des Palestiniens, il est devenu de plus en plus évident que les autorités israéliennes commettaient les crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution.
Il se peut que ce seuil ait déjà été franchi il y a longtemps. Cependant HRW ne prononce pas à la légère le terme de crimes contre l’humanité. Pour nous, il subsistait un élément qui pouvait être contesté : le maintien de la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens était-il intentionnel ? Et pendant longtemps, on a eu le sentiment qu’une solution pouvait être pour bientôt. Il y a même eu des autorités israéliennes — dans des instances juridiques et dans des déclarations publiques — pour affirmer que l’occupation était temporaire, et que la réalité actuelle résultait de l’impossibilité de parvenir à un accord de paix, échec dont la responsabilité incombait aux deux parties.
Mais ces dernières années ont révélé que ces assertions étaient des feuilles de vigne. D’une part, nous avons assisté à une expansion massive des confiscations de terres et de la création de colonies Israéliennes, et à la construction d’infrastructures permettant de relier ces colonies à Israël à proprement parler, ce qui met en évidence l’intention de permanence. Les autorités israéliennes ont déclaré de façon directe leur intention d’exercer leur souveraineté sur la Cisjordanie à perpétuité, compte non tenu des progrès éventuels de l’annexion formelle.
De surcroît, le gouvernement israélien a promulgué la loi sur l’État-Nation du peuple juif, loi à caractère constitutionnel qui consacre pour un groupe des droits dont l’autre groupe est privé, tout en codifiant une réalité qui existe depuis longtemps sur le terrain. Le fait de lui donner une valeur constitutionnelle a mis en pleine lumière l’intention d’assurer la domination d’un groupe sur un autre.
Des citoyens palestiniens d’Israël et des militants protestent contre la loi sur l’État-Nation du peuple juif sur la place Rabin, à Tel Aviv, le 11 août 2018. (Tomer Neuberg/Flash90)
En associant tous ces facteurs, aucun argument ne pouvait s’opposer à la notion d’une intention de domination permanente. Les faits constatés étaient plus que convaincants — et dans le cadre d’une organisation qui applique le droit aux faits, cette caractérisation devait être faite.
Un élément significatif de ce rapport, c’est qu’il désigne des actes pratiqués à l’intérieur d’Israël — c’est-à-dire contre des citoyens palestiniens de cet État — comme relevant de l’apartheid. J’imagine que cette position va susciter une abondance de critiques et de réactions indignées. Pourquoi HRW a-t-il estimé qu’il était nécessaire d’élargir le champ de son examen au-delà des territoires occupés ?
L’apartheid constitue fondamentalement un crime relatif à la domination d’un groupe sur un autre. Et si vous vous placez en surplomb pour regarder la situation, il est clair que nous parlons d’un gouvernement qui gouverne deux peuples — les Palestiniens et les Israéliens juifs — et que, sur le terrain, il y a un système, une politique et une intention. Extraire du tableau les citoyens palestiniens d’Israël serait une façon de dire que la forte discrimination qu’ils subissent n’est pas liée à la situation générale affrontée par les Palestiniens dans leur ensemble.
En même temps, le rapport indique clairement qu’il existe différentes intensités d’atteintes aux droits dans différents lieux, et il n’utilise pas un pinceau unique pour dépeindre la situation qu’affrontent les Palestiniens. Indéniablement, les citoyens palestiniens d’Israël sont exposés à une discrimination et à une oppression moins intense que celles subies par les Palestiniens dans le territoire occupé.
Cependant, notre constatation d’apartheid se fonde sur cette intention prépondérante de maintenir la domination, et sur les exactions particulièrement graves commises à dessein de réaliser cette intention. Le fait de priver des millions de Palestiniens de leurs droits fondamentaux, uniquement parce qu’ils sont palestiniens et non juifs, ne peut pas être simplement lié à une occupation abusive. La réalité, c’est que les Israéliens juifs — quel que soit le lieu où ils vivent, en Israël ou dans le territoire occupé — sont gouvernés en vertu du même système, en jouissant des mêmes droits et privilèges, tandis que les Palestiniens subissent une discrimination partout où ils vivent.
Visuel de Visualizing Palestine et de Human Rights Watch illustrant les droits différents accordés aux Juifs et aux Palestiniens de la diaspora, accompagnant un rapport de HRW qui accuse Israël d’apartheid et de persécution. (Courtesy of HRW)
Avec ce rapport, ce n’est pas la première fois que le crime de persécution est mis en avant (il a été évoqué, par exemple, dans un mémoire soumis à la CPI par les ONG palestiniennes Al-Haq, Addameer, Al Mezan et PCHR), mais il ne tient pas une grande place dans le débat public, et sa définition juridique semble très large. En quoi consiste ce crime exactement, et pourquoi était-il important de l’inclure ?
Quand HRW a entrepris son enquête, nous avons commencé par une recherche factuelle sur la façon dont les Palestiniens sont traités sur le terrain au moyen d’études de cas, du recueil d’informations, et d’autres méthodes. Par ailleurs, notre département juridique s’est efforcé de comprendre les normes juridiques applicables aux formes de discrimination grave. Ils ont conclu que l’apartheid et la persécution étaient des crimes comportant des éléments communs, et que, en évaluant les formes graves de discrimination, nous devions apprécier les faits au regard de ces deux crimes.
La tâche de HRW n’est pas de faire des comparaisons historiques ou politiques— nous appliquons les règles du droit. Le Statut de Rome de la CPI identifie 11 crimes contre l’humanité, et ils sont tous exactement de la même gravité et entraînent les mêmes conséquences en vertu du statut. Il est important de noter que la persécution existe également en droit international coutumier et que ce crime remonte à plusieurs décennies. Pour nous, il s’agissait simplement d’appliquer ce que nous trouvions dans le droit en vigueur.
It convient de noter que HRW a aussi constaté l’apartheid et la persécution dans le traitement des Rohingya dans l’État de Rakhine, au Myanmar, en 2020, et qu’au début du mois d’avril nous avons constaté que des crimes contre l’humanité, y compris la persécution, étaient commis contre les Ouighours en Chine. Avant que je sois en poste comme directeur Israël-Palestine de HRW, j’ai rédigé le rapport qui a déterminé que les autorités égyptiennes avaient commis des crimes contre l’humanité lors des massacres de masse de manifestants à Rabaa et ailleurs, en 2013. C’est de cette façon que nous travaillons, à HRW, dans une centaine de pays du monde entier, et ce rapport applique la même méthodologie.
Je vais poser une question similaire à celle que j’ai posée à Michael Sfard quand Yesh Din a publié son rapport sur l’apartheid en juillet dernier : depuis des années, des ONG, des experts et des militants palestiniens accusent Israël d’apartheid, pourtant le rapport de HRW suscitera certainement beaucoup plus d’attention, et se verra attribuer un poids plus important dans les cercles d’influence, que les rapports palestiniens. Que fait HRW pour reconnaître et remédier à cette disparité, en termes d’attention et de légitimité ressentie, entre les personnes aptes à relater les crimes qui surviennent ?
Quand HRW a présenté ce rapport aux destinataires du plaidoyer, il a souligné que nous n’étions pas la première organisation à parvenir à cette détermination, que beaucoup d’autres sont venus avant nous, et que leurs analyses et perspectives sont d’une importance capitale. Depuis des années, voire des décennies, les experts et les juristes palestiniens démontrent que la situation sur le terrain correspond à la définition du crime d’apartheid, ou que cette comparaison historique est adéquate. Dans de nombreux cas, ils fournissent des dimensions additionnelles d’analyse extérieures au mandat de HRW, une organisation qui prend en compte spécifiquement le droit international humanitaire et relatif aux droits humains.
Omar Shakir, directeur Israël-Palestine de Human Rights Watch, parle lors d’une conférence de presse à Jérusalem avant son expulsion d’Israël, 24 nov. 2019. (Olivier Fitoussi/Flash90)
Bien sûr, chacun des groupes qui a examiné ces questions a mené des déterminations distinctes en s’appuyant sur différentes analyses et différents faits documentés. Mais des échanges se poursuivent entre les groupes de défense des droits humains — palestiniens, israéliens et internationaux — concernant la nécessité de faire avancer les choses. À mon sens, même s’il y a des différences, les voix de plus en plus nombreuses qui sont parvenues à cette détermination se font l’écho d’un sentiment partagé au sein de la communauté des droits humains concernant la gravité de la situation sur le terrain, et nous constatons avec inquiétude que la scène internationale ne fait pas le nécessaire pour que cela se reflète dans les politiques menées.
Pour répondre à votre question, oui, nous en sommes conscients. Nous menons régulièrement des échanges avec nos partenaires palestiniens et israéliens au sujet de nos activités respectives, et nous soulignons très délibérément que cette détermination n’est pas la première. Nous espérons que nos recherches factuelles contribueront à la reconnaissance croissante de ces crimes, et que l’attention suscitée par ce rapport incitera le grand public à lire les très nombreuses publications qui ont été écrites par des Palestiniens et des Israéliens sur ces questions.
Parmi les recommandations que vous formulez figure un appel à l’Autorité palestinienne de “mettre fin aux formes de coordination sécuritaire avec l’armée israélienne qui contribuent à faciliter la commission des crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution”. Bien que ce point ne soit pas développé dans le rapport, HRW semble sous-entendre que l’AP est complice de certaines de ces pratiques (HRW a également produit des rapports sur les atteintes aux droits humains et les pratiques autoritaires de l’AP et du Hamas). Quelle est la place de l’AP dans votre analyse ?
Nos recommandations sont liées à la gravité de la constatation de crimes contre l’humanité. Quel que soit le lieu où on les constate, toutes les parties concernées – gouvernements ou entreprises – sont dans l’obligation d’éviter toute complicité avec ces crimes.
Nous avons un ensemble bien établi de demandes auprès des différents acteurs à la lumière d’une telle constatation. Nous demandons aux États de conditionner l’assistance militaire et de sécurité et les ventes d’armes à la prise de mesures pour mettre fin à l’apartheid et à la persécution. Nous demandons aussi aux entreprises et aux États d’examiner soigneusement toutes les formes d’accords bilatéraux, de veiller à la non-complicité avec les crimes, et de limiter ou d’éliminer les impacts en termes de droits humains partout où ils le peuvent.
Des forces de sécurité palestiniennes montent la garde à un checkpoint à l’entrée de la ville d’Hébron, en Cisjordanie, le 10 décembre 2020. (Wisam Hashlamoun/Flash90)
La recommandation relative à la coordination en matière de sécurité est faite dans le même esprit. C’est un appel à l’AP et à l’OLP pour qu’elles évaluent toutes les formes de leur coopération avec les autorités israéliennes, la coordination en matière de sécurité étant en l’occurrence la plus pertinente, et qu’elles veillent à ce que ces activités ne contribuent pas à une complicité avec les crimes structurels. Nous ne formulons pas dans ce rapport d’appréciation factuelle selon laquelle l’AP ou l’OLP seraient complices de l’apartheid ou de la persécution ; nous lançons un appel, dans ce cas comme dans d’autres, pour faire en sorte que leur coopération n’entraîne pas une complicité avec le crime.
Il existe, bien sûr, nombre de formes et niveaux de coordination en matière de sécurité. Cela peut être aussi simple que d’informer un autre gouvernement de l’existence de projets d’attentats contre des civils. Il est assurément bien différent de partager des informations qui peuvent conduire à incarcérer une personne pour avoir exprimé de façon non violente ses droits fondamentaux.
Le gouvernement israélien est loin d’être le seul acteur qui bafoue les droits, et les autorités palestiniennes font assurément partie du tableau général d’oppression que les Palestiniens affrontent. Comme vous l’avez mentionné, en 2018, HRW a publié un important rapport estimant que les arrestations systématiques et arbitraires et les actes de torture à l’égard de dissidents et de critiques pratiqués tant par l’AP que par le Hamas pouvaient être assimilés à des crimes contre l’humanité. De façon similaire, nous avons demandé au procureur de la CPI d’intégrer ces questions à l’enquête menée par ses services, et appelé les membres de la communauté internationale à examiner si leurs financements pouvaient les rendre complices de ces crimes.
La semaine dernière, Betty McCollum, membre du Congrès des États-Unis, ainsi que d’autres représentants, a proposé un important projet de loi visant à conditionner l’aide étasunienne à Israël à ses atteintes aux droits humains commises contre les Palestiniens. Sous bien des aspects, ce texte de loi fait écho aux recommandations formulées depuis des années par HRW et d’autres groupes. Au cours de votre propre travail de plaidoyer, jusqu’à quel point avez-vous vu cette option politique, encore frappée d’un tabou, gagner du terrain auprès du personnel politique étasunien rattaché aux courants traditionnels ? Quelle évolution avez-vous pu voir en comparant le débat tel qu’il était il y a cinq ans et tel qu’il est aujourd’hui ?
La conversation aux États-Unis évolue, c’est certain, et le débat autour de l’aide militaire à Israël a été un des axes de cette évolution. Il y a eu sur ce plan plusieurs moments décisifs : les projets de loi de la membre du Congrès McCollum et un travail de plaidoyer effectué par un fort réseau d’organisations aux États-Unis ont entraîné un changement de discours. La conversation autour de la conférence de J Street la semaine dernière signale aussi jusqu’à quel point ce débat se développe, du moins au sein du Parti démocrate. Nous l’avons vu aussi lors des primaires démocrates de 2020, où il y avait une véritable distance entre les différents candidats sur cette position.
Une patrouille de soldats israéliens dans la vieille ville d’Hébron en Cisjordanie.(Wisam Hashlamoun/flash90)
Cela a un lien avec le nécessaire changement de discours, et ce rapport a aussi sa place dans ce débat. En dernière instance, HRW affirme que l’apartheid n’est pas un scénario futur, conditionnel — ce seuil a été franchi. L’apartheid est une réalité aujourd’hui pour des millions de Palestiniens, et il incombe à la communauté internationale de reconnaître cette réalité pour ce qu’elle est, et d’avoir le courage de combattre l’apartheid.
Cela signifie différentes choses en différents lieux ; mais aux États-Unis, étant donné la nature de la relation États-Unis-Israël, il est d’une importance cruciale d’examiner les ventes d’armes, et ce rapport contient des recommandations claires à ce sujet pour mettre fin à l’apartheid et à la persécution — autant de mesures que le gouvernement israélien n’a pas prises, ne prend pas ; en fait, il est allé dans la direction opposée.
Nous espérons que ce rapport peut contribuer aux nombreuses analyses que d’autres ont réalisées. L’étude Carnegie-USMEP publiée la semaine dernière soulignait également la nécessité d’une approche de la question Israël-Palestine basée sur les droits. De plus en plus de gens soulignent qu’il ne s’agit pas d’une situation temporaire. C’est une réalité permanente, et les mesures qui doivent être prises doivent être proportionnées à la gravité des atteintes commises sur le terrain.
Amjad Iraqi fait partie de la rédaction de +972 Magazine. Il est également analyste politique au groupe de réflexion Al-Shabaka, et il a été antérieurement coordinateur du plaidoyer au centre juridique Adalah. Il est citoyen palestinien d’Israël, basé à Haïfa.
Traduction SM pour Campagne BDS France Montpellier