Une image de l’agriculture à Gaza aujourd’hui, en mémoire de Youssef Saqr Abu Rabie
Youssef Saqr Abu Rabie, un agriculteur de 24 ans de Beit Lahia, est revenu chez lui avec sa famille depuis le camp de réfugiés de Jabalia début mars, lorsque les forces israéliennes s’en sont retirées. Là il a vu « la destruction indescriptible » de sa ville.
Déterminé à rétablir la vie dans la ville ruinée du nord de Gaza, Abu Rabie a semé des graines issues de restes desséchés de concombres, de poivrons, d’aubergines et de courges. Le fruit, laissé à pourrir et à sécher dans les champs bombardés, retenait encore les germes d’une future récolte.
Il a planté ces graines, ainsi que du mulukhiyya, une variété de plante de jute utilisée pour faire le plat du même nom. Il m’a montré des photos de ses cultures : le mulukhiyya planté en six rangées bien nettes par parterre et les globes noirs des aubergines reflétant la lumière du ciel au-dessus d’elles. Leurs fleurs pourpres présageaient de futures récoltes.
Le mois dernier, quand Israël a redirigé sa brutalité vers le nord de Gaza, je me suis inquiété pour la sécurité d’Abu Rabie plus encore que je ne l’avais fait. Cela faisait des semaines que nous n’avions pas parlé ensemble. Je l’ai contacté, en envoyant le message à midi (heure de l’Est). J’avais découvert qu’Abu Rabie était plus susceptible de répondre rapidement lorsque la nuit était tombée sur Gaza.
Il m’a écrit en retour presque immédiatement. « Notre terre agricole a été écrasée au bulldozer », a-t-il dit. J’ai été choqué —pourquoi aurais-je dû l’être. Alors que s’étiraient les semaines sanglantes d’octobre, j’ai souvent pris des nouvelles d’Abu Rabie. J’étais momentanément soulagé quand je voyais que les messages étaient délivrés, puis lus, les marques bleues sur WhatsApp me faisant savoir qu’il était en vie. Quand je lui ai demandé le 14 octobre comment il allait, sa réponse a été lapidaire. « Mauvais jour », a-t-il écrit. Quelques jours plus tard, sa réponse a été la même.
La plupart de nos communications jusqu’à octobre étaient centrées sur l’agriculture. Venant moi-même d’un milieu agricole, nous étions liés par un amour partagé pour la culture des aliments. Le mois dernier, le ton de nos conversations a changé. Les champs d’Abu Rabie avaient été détruits par les bulldozers israéliens. En dix-sept jours, les forces israéliennes avaient tué 640 Palestiniens au nord de Gaza. Il essayait simplement de survivre.
Le 19 octobre, après un échange de messages dans les deux sens, j’ai décidé de lui demander quelle était la situation agricole actuelle, m’attendant à ce que tous les efforts aient cessé. J’ai été stupéfait d’entendre qu’il avait à nouveau planté. Cette fois, à une plus petite échelle, il faisait pousser de la laitue, de la roquette, du persil, des épinards, des radis et des navets. Je lui ai souhaité une récolte réussie. Il m’a répondu : « Inshallah ».
Israël a tué Abu Rabie le lundi 21 octobre. C’était une lumière pour Gaza et pour le monde entier.
Des sols pollués
Abu Rabie était résolu. Il était aussi réaliste. N’importe qui dans sa position l’aurait été. « Oui, nous sommes encore déterminés à cultiver », m’a-t-il dit en août, « mais nous manquons maintenant des conditions pour le faire. Il n’y a ni semences, ni engrais, ni pesticides. Dans quelques jours, toutes les réserves seront terminées et cela nous empêchera de continuer à travailler. » Si les fermiers de Gaza peuvent glaner des semences dans les champs en jachère, abandonnés quand les forces d’offensive israéliennes ont fait pleuvoir leurs bombes, ils ne peuvent pas accéder à d’autres intrants vitaux. Typiquement, les cultivateurs ne produisent pas d’engrais et de pesticides dans leurs fermes, particulièrement ceux pris dans la matrice de l’agriculture agrochimique moderne. Ils les achètent au marché libre, un marché qui, à Gaza, n’a pas été ouvert depuis longtemps.
Une ferme requiert plusieurs composantes pour être viable : un sol arable et non contaminé ; des semences de bonne qualité avec une génétique prévisible ; de l’eau non contaminée et facilement disponible ; du fourrage riche en nutriments pour le bétail ; de l’air pur ; des fermiers sans entraves pour assembler ces éléments dans une entreprise productive. À Gaza, bien avant le début du plus récent génocide, les forces d’occupation israéliennes a étranglé dans son siège chacun de ses intrants.
L’occupation a soumis les terrains, où les fermiers gazaouis font naître la vie contre vents et marées, à une série de dégradations, pendant des décennies : une sur-dépendance imposée par le marché aux engrais synthétiques importés, des bulldozers et des tanks compactant la terre, et des cratères d’impact à cause des bombardements périodiques. Cette terre —qu’Israël avait déjà corrompue impitoyablement—a été encore plus érodée pendant l’année passée. Les champs sont desséchés et les images satellites montrent qu’approximativement quarante-cinq pour cent de toutes les terres agricoles de la Bande de Gaza ont été endommagées. Des experts des Nations Unies estiment qu’il faudrait jusqu’à quatorze ans pour nettoyer le sol de Gaza des munitions qui n’ont pas explosé. La violence ne s’arrêtera pas quand le pire du génocide prendra fin.
La plupart des rapports sur l’agriculture de Gaza sont comme on peut s’y attendre sinistres. Cela s’accorde avec la réalité. Naser Qadous, le directeur des programmes agricoles de Palestine pour Anera, m’a raconté que près d’un milliard de dollars de pertes a frappé le secteur agricole depuis le début de la guerre — et ce bilan ne vaut que jusqu’à avril. Qadous m’a envoyé une image de la dévastation complète d’une structure de serres que son organisation avait aidé à réparer il y a seulement deux ans. Les composants de plastique ont fondu et se sont déformés, les feuilles de polyéthylène sont drapées sur des cadres métalliques tordus, leur translucidité est ruinée par une suie grise.
Michael Fakhri, le Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, a conclu dans son rapport le plus récent que « Israël a détruit approximativement quatre-vingt-trois pour cent de l’économie de l’agriculture, de la sylviculture et du secteur de la pêche ». Ce rapport, publié en juillet, contextualise les attaques d’Israël contre le système alimentaire de Gaza comme une stratégie clé dans son génocide.
Cultiver l’espoir
L’assassinat de Youssef et de tant d’autres comme lui nous laisse peu de place à l’optimisme. Pourtant, il est nécessaire de dire que les fermiers ont planté des semences pendant cette année de génocide, ont récolté des tomates, des concombres et des oignons. Ces cultivateurs trouvent leur force les uns dans les autres, résistant à la violence de l’État israélien par leur ténacité.
Abu Rabie n’était pas seul dans ses efforts pour rétablir l’agriculture dans sa région. Début 2024, il a formé le Rassemblement des fermiers de Beit Lahia (Beit Lahia Farmers’ Gathering, BLFG), un réseau de cultivateurs de la région travaillant à « alléger les difficultés économiques et sociales en fournissant une aide financière et matérielle afin de soutenir l’agriculture et de garantir la fourniture locale des aliments ».
Avant que les forces israéliennes ne la rasent, Abu Rabie a cultivé une parcelle partagée de terres avec d’autres fermiers et leurs familles qui étaient revenus vers leur ville. « Chaque fermier cultive, avec sa famille », m’a-t-il dit. Il y a des vidéos sur la page Facebook d’Abu Rabie montrant des hommes travaillant côte à côte, transplantant des aubergines, récolant du mulukhiyya et l’emballant avec une ficelle, pour le livrer aux personnes vivant dans les ruines de la ville.
Cette initiative BLFG n’était pas simplement une ferme collective. Abu Rabie a aussi construit une pépinière de fortune où il faisait pousser des milliers de jeunes plants, dont beaucoup étaient distribués dans tout Beit Lahia et replantés dans des patios ou sur des toits — partout où quelqu’un pouvait s’en occuper. « Nous distribuons de jeunes plants aux gens à cause de la famine et de la guerre en cours. Cela les aide un peu car ils auront des récoltes dans quelques jours, de sorte qu’ils pourront manger », m’avait-il expliqué.
Le rapport de Fakhri aux Nations Unis commence par le fait frappant que, dès décembre 2023, quelques mois seulement après qu’Israël a annoncé sa campagne d’affamement le 9 octobre, « les Palestiniens de Gaza formaient jusqu’à 80% de toutes les personnes dans le monde souffrant de famine ou d’une faim catastrophique. » La quantité dérisoire d’aide alimentaire que les responsables israéliens restrictifs laissent passer goutte à goutte dans la Bande de Gaza est composé presque exclusivement de produits de longue conservation. À certains moments au cours de l’an dernier, Israël a même entièrement tari ce mince filet. Alors, le prix des produits disponibles à l’achat était exorbitant. Qadous m’a raconté qu’une livre d’oignons coûtait trente dollars américains. Avec une rareté imposée poussant à l’inflation pour les aliments frais, la possibilité pour les Gazaouis d’avoir une récolte même modeste dans leur propre jardin peut être à la fois important du point de vue nutritionnel et significatif du point de vue spirituel.
Abu Rabie me l’a dit ainsi : « Nous n’attendons pas l’aide alimentaire et l’humiliation. C’était l’objectif : cultiver notre terre et cultiver l’espoir encore à Gaza, particulièrement à Beit Lahia. » Quand Israël a empêché l’entrée dans la Bande de Gaza de toutes les graines, tous les engrais et tous les pesticides l’an dernier — une politique qui ne s’est pas relâchée—, c’était une décision d’infliger une famine approuvée par l’État.
Alternatives agroécologiques
La destruction du droit des Palestiniens à avoir accès à des aliments poursuit une politique durable de dépossession s’étendant sur huit décennies depuis la fondation d’Israël en 1948. En remontant encore plus loin, bien avant la Nakba, les colons juifs d’Europe ont été impliqués dans des tactiques coloniales visant à priver les Palestiniens autochtones de leurs droits aux terres agricoles et aux pâturages.
Ce déni de l’auto-détermination sur leurs terres ancestrales structure les expériences partagées des Palestiniens, à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est, dans les camps de réfugiés éparpillés dans les pays voisins, et à l’intérieur d’Israël. Plus de quatre-vingt pour cent des Palestiniens de Gaza sont des réfugiés, déplacés de leurs maisons par la force, vivant des années de blocus économique et d’attaques violentes d’Israël. Cette longue histoire de violence du colonialisme de peuplement israélien a culminé dans un moment préparé pour un génocide. Fakhri conclut que « avant le 7 octobre 2023, approximativement la moitié des personnes de Gaza souffraient d’insécurité alimentaire et plus de quatre-vingts pour cent avaient recours à l’aide humanitaire ; le siège total a été un catalyseur direct pour la famine ». Israël, depuis sa création, crée intentionnellement une économie de dépendance et de privation.
Pour les cultivateurs palestiniens, cette relation économique déséquilibrée passe par une sur-dépendance de matériaux agricoles importés. Saad Dagher, un agronome basé près de Ramallah qui a consulté Abu Rabie, comprend comment cette relation mène à des vulnérabilités à la fois écologiques et économiques. Comme la plupart des ingénieurs agronomes formés dans les années 1980 (et jusqu’à ce jour), Dagher a appris l’agriculture chimique pendant ses études en Union soviétique. À son retour en Palestine, il a commencé à jardiner expérimentalement, sans l’arsenal typique des pulvérisateurs et des conditionneurs de sol conventionnels dans l’agriculture industrielle.
La première tentative officielle de Dagher en vue d’une agriculture non-chimique s’est produite en 1995, à un moment où les méthodes agricoles écologiques n’avaient pas encore proliféré comme une alternative courante au paradigme agricole, mise en place par la Révolution verte. Et donc l’adoption de cette approche par Dagher a été si précoce que le langage utilisé pour décrire ce qu’il faisait dans son champ n’était même pas directement disponible. En 2002, un ami argentin est venu lui rendre visite. « Il voulait voir ce que je faisais », m’a dit Dagher. « Quand il est entré dans la ferme, il a été choqué. Et il a dit : « Vous faites de l’agroécologie ».
L’agriculture agroécologique vise à construire des systèmes alimentaires qui reposent peu sur des apports chimiques externes, tout en augmentant l’incorporation de matériaux organiques produits localement, avec l’objectif d’améliorer l’écologie et l’économie de la ferme. Un producteur qui développe la fertilité sur l’exploitation même, applique les technologies à une échelle appropriée et réduit l’utilisation des pesticides par des mécanismes de biodiversité est un fermier qui est moins soumis aux caprices orientés par le profit du marché — des blocus d’une puissance coloniale génocidaire. Et c’est aussi vrai d’un fermier qui fait pousser et sauvegarde ses propres graines./// Il en va de même pour l’agriculteur qui cultive et conserve ses propres semences.
Conserver les semences
En 2019, deux soeurs ont établi la seule banque de semences officielle dans Gaza. Dans le village d’al-Qarara près de Khan Younis, ces soeurs et leurs familles ont commencé à rassembler des semences baladi (variétés traditionnelles) provenant de fermiers locaux. Avant la guerre, la banque possédait des réfrigérateurs pour stocker les semences et une machine à énergie solaire pour les sécher. Elle conservait trente-trois types différents de semences traditionnelles : blé, blettes, épinards, persil, courges et bien d’autres encore.
Une des soeurs m’a raconté comment ils avaient commencé à recoller les morceaux. « Nous sommes partis de zéro et nous avons travaillé pour retrouver les semences, nous avons communiqué avec les fermiers avec qui nous avions eu affaire auparavant, nous avons obtenu d’eux quelques semences et nous avons commencé à travailler. » La structure physique de la banque de semences et les technologies qu’elle requiert pour opérer à la bonne échelle se sont brisées sous la violence totalisante de l’État israélien. Mais les chaînes de coopération humaine qui soutiennent son existence constante ne sont pas coupées.
L’Union des comités de travail agricole, une ONG menant la lutte pour la souveraineté alimentaire et l’agroécologie en Palestine, considère la préservation des semences baladi vitale pour renforcer le sumud. Mazin Qumsiyeh, un biologiste renommé de Cisjordanie, a expliqué la signification du mot sumud comme « une combinaison de résistance, de résilience et de régénération ». Rana Issa, professeur des Études de traduction à l’Université américaine de Beyrouth, voit une connexion entre les concepts de sumud et de « survivance », un terme critique dans les Études amérindiennes, qui désigne « la conjonction entre résistance et survie ».
Comme avant la guerre, les soeurs continuent à recevoir des semences des fermiers et à les transmettre à d’autres cultivateurs. Ces cultivateurs laissent une partie de la récolte mûrir, puis récoltent et distribuent les graines, et le cycle se poursuit.
Les semences traditionnelles ont été largement remplacées à Gaza par des hybrides qu’importent de gros monopoles agroindustriels. Ces semences, particulièrement en combinaison avec d’autres technologies agricoles modernes, comme les engrais azotés synthétiques, peuvent augmenter les rendements substantiellement. Ce n’est pas une pratique courante de préserver les semences hybrides, car la génération suivante produira, d’une manière presque garantie, des résultats plus mauvais. Cette situation maintient les cultivateurs dans une situation de clients perpétuels des corporations multinationales qui possèdent et vendent ces intrants agricoles fondamentaux.
Croître en marge
Les fermiers de la région ont adopté les cultures hybrides et d’autres outils de l’agriculture industrielle pour concurrencer les importations d’aliments fortement subventionnées. La disponibilité continûment décroissante du sol cultivable à Gaza aggrave la pression pour une efficacité agricole maximale.
La grande majorité des fermes de la Bande de Gaza sont de petites exploitations. J’ai parlé avec un expert agricole de Gaza qui estimait que plus de quatre-vingt quinze pour cent des fermiers dans la Bande cultivent des parcelles qui font entre un demi et trois dunams (un dunam est équivalent à 1000 mètres carrés). Dans la plupart des villes des États-Unis, moins d’un pour cent de la nourriture disponible pour les consommateurs pousse dans des fermes urbaines.
En substance, presque la totalité de Gaza a perdu son caractère rural. Gaza a été globalement transformé d’une région de villes et de villages en une mégalopole d’une impossible densité. De manière incroyable, au pic de l’initiative d’Abu Rabie pour rétablir l’agriculture à Beit Lahia, lui et ses compagnons fermiers ont cultivé collectivement plus de 300 dunams, travaillant à une échelle peu commune dans la région.
Les terres accessibles aux Gazaouis pour faire pousser des aliments avant le 7 octobre étaient déjà rares. Les jardins sur les toits de Gaza représentent une pratique de débrouillardise incontournable. Aux États-Unis, les jardins sur les toits peuvent parfois prendre un caractère bourgeois. Il coûte cher de déplacer de la terre au sommet d’un gratte-ciel de New York, et peut-être n’est-il pas entièrement nécessaire socialement d’organiser des dîners « de la ferme à la table » perchés si haut. À Gaza, les Forces offensives israéliennes ont comprimé la surface littérale de la Bande, ne laissant aux fermiers d’autre choix que d’adopter une technique phare d’agriculture urbaine.
Le génocide à Gaza a mis à nu la nécessité vitale d’appliquer des concepts issus de philosophies de la culture alternative, des méthodes qui peuvent parfois sembler théorique aux enthousiastes à hauts revenus de l’agriculture biologique dans le Nord global. Aux États-Unis, l’économie alimentaire — même si elle est sévèrement injuste et sans sécurité pour beaucoup de gens — « marche » pour de larges segments de la population.
Les victimes de notre système alimentaire sont généralement les plus marginalisés dans notre société. Les régimes d’apartheid alimentaire dans les communautés noires ou brunes, les taux croissants de diabète pour les Américains à bas revenus, la prévalence croissante d’une très faible insécurité alimentaire sont tous de sérieux symptômes indiquant des défaillances structurelles. Mais ces défaillances sont intégrées dans la machine.
L’économie agricole à une échelle colossale se développe. Des millions de bouches sont nourries, la plupart par le labeur exploité de travailleurs agricoles immigrés, dont les conditions de vie sont maintenus à un état précaire par des lois d’immigration déshumanisantes. Nos politiciens ne s’intéressent pas à ceux laissés pour compte, ceux qui sont malades et qui ont faim, et la police les maintient hors des espaces commerciaux pour empêcher les acheteurs de développer des sentiments de culpabilité.
À Gaza, chaque personne souffre de l’affaiblissement intentionnel de la souveraineté alimentaire causé par les colonisateurs israéliens, maintenant plus que jamais.
Sana’ Karajeh, de l’Union des comités de travail agricole, l’a dit en des termes frappants : « C’est dans l’intérêt de l’occupation israélienne que nous restions dépendants d’eux en tant que puissance qui fournit de la nourriture au peuple occupé. »
Pour ceux qui peinent dans l’économie alimentaire de Gaza, les pratiques de solidarité sociales et économiques, développées par la nécessité de la survie jusqu’à maintenant, sont devenues des réseaux de lignes de vie. Travailler ensemble pour labourer les champs afin d’en faire des terres agricoles productives, maintenir en vie les liens créés par le partage des semences entre cultivateurs et préservateurs des semences, porter des semis dans des cages d’escalier en ruine pour raviver des jardins de patio abandonnés : ce sont des faits de résistance.
Quand j’ai pris contact avec Abu Rabie tard dans la nuit du dimanche 20 octobre, c’était déjà le matin à Gaza. « Es-tu en sécurité, Youssef ? », ai-je demandé. « J’ai vu les nouvelles de l’attaque récente sur Beit Lahia ». Il a répondu : « Salut, je vais bien, grâce à Dieu ». Plus tard ce même jour, Israël l’a tué. Entre mes sentiments de rage, de tristesse, d’incrédulité et de fatalité, ce fait glacial m’a été rappelé : la justesse de sa lutte ne pouvait pas le sauver du génocide d’Israël.
- Photo : Youssef Saqr Abu Rabie, extraite d’un post Facebook du 18 mai 2024 : « Je suis Yousef Saqr Abu Rabie, un ingénieur agronome du nord de la Bande de Gaza. J’ai lancé une campagne pour restaurer l’agriculture dans nos terres détruites. Pour sortir de la souffrance et de la grande destruction de la Bande de Gaza, particulièrement au nord de Gaza qui a été complètement détruit, et particulièrement le secteur agricole, nous sommes revenus, grâce à Dieu, sur ce qui reste de nos terres agricoles et nous y travaillons, malgré le manque de composants de base pour l’agriculture. Cependant, nous sommes déterminés à rester, à donner et à produire pour le grand peuple de Gaza. J’espère que vous vous tiendrez tous à nos côtés et que vous soutiendrez nos fermiers dans le nord de Gaza, de sorte que nous puissions nous relever et continuer à donner. Merci. »